ILLUSIONS ROMAINES

Fermant la délicieuse place Sant'Ignazio, où je vous ai déjà offert quelques sanpietrini, la massive et pourtant élégante église homonyme est dédiée au fondateur de l'ordre des Jésuites et, commencée en 1626, elle est caractéristique de la Contre-Réforme. Décorée par le prolifique et talentueux Andrea Pozzo*, elle mérite qu'on la visite car elle cache un secret bien gardé !

L'église fut fondée par le Cardinal Ludovico Ludovisi, qui est enterré là avec son oncle, le pape Grégoire XV, dans un monument funéraire tout de marbres et de bronzes, qui est à lui seul une prouesse d’illusionnisme : les tentures de pierre sont souples et moelleuses, les franges sont plus légères que des vraies, les pompons donnent l'impression de se balancer, et l'ensemble est d'une richesse ornementale qui est tout à l'honneur du sculpteur, Pierre Legros, un français pensionnaire de l'Académie de France.

Brocards, velours, fourrures, broderie, tout est traité avec une habileté presque démonstrative. Et malgré la majesté de l'ensemble, on prend plaisir à se perdre dans les détails. Mais tout cela n'est rien comparé à la maestria de la décoration de la nef principale.

Dès l'entrée, on est ébloui par la profusion ébouriffante de lumière et de vie qui vibre au plafond de la nef. Pozzo peignit ici l'envolée : c'est étourdissant de virtuosité, ça vole, ça bouillonne, ça explose en mille teintes toutes plus délicates les unes que les autres, et nous, pauvres mortels, nous tournons au sol comme des toupies illuminées par le miracle de Saint Ignace de Loyola accueilli avec faste au Ciel.

Et quel ciel mes amis... rosé, violine, bleuté, doré, envahi de nuages à faire rêver Oxy, inondé de lumière et encombré d'anges bruissants et flamboyants. La voûte est ouverte, elle crève le plafond. Le jeu des colonnes et des architectures nous fait oublier notre statut d'humains enfermés dans une église, nous nous envolons avec le choeur céleste.

Au loin, près du choeur, on aperçoit la voûte de la coupole centrale et sa hauteur est impressionnante. Certes, elle est un peu sombre, mais quoi de plus normal, on a les yeux éblouis par les épisodes glorieux du saint fondateur des Jésuites. On s'avance, et la voûte reste belle mais on se demande si elle est si haute que cela. Et au fur et à mesure que l'on progresse vers le chœur, elle perd de plus en plus en crédibilité : tant et si bien que lorsqu'on se place immédiatement dessous, on découvre avec stupeur qu'elle est plate. Et que le lanternon, au lieu d'être au centre, est totalement déporté sur le fond, jusqu'à devenir absolument irréaliste lorsqu'on regarde la coupole dans l'autre sens, dos à l'autel. Pour mieux saisir la supercherie, n'hésitez pas à cliquer sur les photos.

Une maquette représente ce à quoi aurait pu ressembler la coupole de Saint Ignace si le plafond n'avait pas été plat !! Pas étonnant qu'on n'ait pas pu la construire ...

Pozzo, théoricien de la perspective trimensionnelle** a mis ici tout son talent à faire oublier l'absence de coupole, qui ne put jamais être construite à cause de problèmes techniques. Il a représenté, avec une parfaite maîtrise de l'illusion et du mirage esthétique, un ersatz de voûte qui, si on l'avait élevée réellement au-dessus de la croisée du transept, aurait été fort impressionnante. Et tout cela, pour le prix d'un simple plafond, agrémenté il est vrai d'une fresque, mais quelle parfaite réussite !!

NOTES
* il réalisa aussi une chapelle au Gésù

** il écrivit en 1696-1702 le traité "Perspectiva pictorum et architectorum" qui connut un immense succès et fut diffusé dans toute l'Europe