vendredi 11 janvier 2013

MOLLY BLOOM (Première à La Coursive)


Marilyn Monroe, Anouk Grinberg … et même, récemment, Nathalie Dessay (désireuse de se lancer dans le théâtre … qui l’a joué, quoiqu'en simple lecture à Angoulême, Gérard était allé l’applaudir)… les plus grandes se sont frottées à ce monologue aux relents de scandale... lors de sa parution dans les années 20 … et qui n’arrache plus à la salle que quelques ricanements de malaise furtif. Car il a perdu son caractère sulfureux ce texte de Joyce, essoufflé, sans ponctuation et surtout cru, mais cru sans artifice, simplement couleur « pensées », de celles qu’on a pour soi et qu’on ne partage pas parce qu’on n’a pas envie de provoquer. Non qu’on les refoule, mais simplement parce qu’elles sont trop précises, trop nettes pour être socialement correctes.

Extension d’Ulysse plus que conclusion du roman, le monologue de Molly Bloom intervient dans le temps du roman aux alentours de deux heures du matin (je vous rappelle qu’Ulysse se déroule sur environ une journée entre 8h et 3h du matin), au terme de la longue journée d’errance du héros dans Dublin. Leopold est rentré, tard dans la nuit, il s’est endormi en chien de fusil auprès de son épouse, et le tumulte de ses pensées s’est enfin assagi. Près de lui Pénélope, Molly, ne peut dormir et elle prend le relais : en un long monologue trivial et sans ponctuation, elle déverse sur le spectateur ahuri ses pensées nocturnes, exaltées, parfois obscènes, toujours pathétiques, tout une tornade de préoccupations, désirs et réminiscences, qui débutent et s’achèvent sur le souvenir de son « oui » à la demande en mariage de Leopold, seize ans auparavant. Ses amertumes, ses humeurs, ses rancœurs, ses peurs, ses appétits, ses désillusions... elle nous inonde de toutes ces pensées fugaces et pourtant obsédantes, qui vous prennent  aux petites heures glauques de la nuit, quand le sommeil vous fuit et que la quarantaine vous terrasse.


Car elle a 40 ans Molly Bloom, elle a connu des jubilations et des chagrins, elle a des regrets et des fantasmes récurrents et surtout, surtout une  opinion bien tranchée sur les hommes… Pas très brillante au demeurant, elle les recherche et les méprise, elle connaît les méandres du désir masculin au point de savoir en jouer, de s’en accommoder, voire de le provoquer pour en tirer profit. James Joyce a écrit : « Il me semble que Pénélope (Molly) est une femme parfaitement saine, complète, amorale, amendable, fertilisable, déloyale, engageante, astucieuse, bornée, prudente, indifférente ».


Et pour jouer cette femme, Laurent Laffargue a choisi sa compagne, Céline Sallette. Qualifiée d’étoile montante par Paris Match, d’actrice prometteuse par Libération, elle interprète là une Molly impatiente, moqueuse, ardente, amère… avec d’étranges gravités et de lancinantes lucidités. Elle est sobre et pourtant très efficace et, ce qui ne gâche rien, chante admirablement. Elle s’est emparé du rôle avec une vraie jubilation « J'ai exploré. Et je suis arrivée à traverser cet océan de mots avec une certaine confiance. Mémoriser, c'est très dur, mais ce qui est difficile, c'est d'avancer dans l'océan. Il y a toutes les femmes dans cette femme, et on est toutes, à un moment, ces femmes-là. Dans ce texte, il y a énormément de trivialité, et de banalité, et du sublime. C'est un personnage magnifique. Mais qui me force à une dimension : en ce moment, je parle très fort. Je suis obligée de projeter les mots contre les murs ».


Mais ce qui prime dans cette nouvelle version du monologue de Joyce, adapté pour le théâtre et largement épuré par Laffargue, c’est justement sa mise en scène. Alors que « l’intrigue » est totalement statique – normalement Molly Bloom rumine dans le lit auprès de son mari qui dort – Laffargue a eu l’idée d’en faire une véritable épreuve physique pour l’actrice : le décor, une chambre à coucher aux teintes vieillottes, tourne sur lui-même, provoquant déséquilibres et stabilités précaires. Et cette circonvolution qui promène l’actrice du sol au plafond, la fait glisser d’un bout de la pièce à l’autre, d’un mur à l’autre, disparaître sous le lit pour réapparaître auprès de la fenêtre, traduit en mouvements les associations d’idées décousues de Molly.

Cette vaste boîte improbable qui pivote, s’arrête, reprend sa ronde infernale et inutile, c’est un peu l’enfer de nos pensées quand elles se cognent dans nos crânes, aux heures sombres de la nuit. On ne sait plus très bien où est le haut et le bas, on sent que tout vous échappe soudain. Et il suffit d’un quart de tour pour que tout ce qui était vrai l’instant d’avant soit tout d’un coup instable, précaire et brusquement changé. C’est, quelques soient les mérites de l’actrice, et malgré un texte qui, une fois le scandale oublié, est un peu insipide, ce qui fait que ce spectacle mérite largement d’être vu : la chambre de Laffargue donne aux lignes un peu démodées quoique toujours efficaces de Joyce, une dimension surnaturelle et pourtant terriblement prégnante, décrivant avec force les méandres du cerveau humain quand il est livré à lui-même, la nuit, quand l’angoisse fait rage.


PS : Alter à qui je disais qu'en ce qui concerne la mise en scène de Laffargue, j'avais hésité entre celle que je vous livre et une autre raison à cette boîte tournante, m'a dit "mais les deux sont possibles, voire complémentaires". Je vous livre donc une autre justification possible à ce dispositif scénique original : étant donné que le texte n'est que la traduction des pensées de Molly Bloom, statique comme je le disais, et que ces pensées font essentiellement allusion au corps, au désir, au plaisir, aux souffrances, Laffargue a peut-être voulu introduire une forte dimension physique dans le monologue de Joyce. En forçant son actrice à se livrer à de périlleux redressements, à d'incertaines pirouettes, en sollicitant tous ses muscles pour lutter contre l'incertitude de l'espace, il met en avant le fait que les préoccupations de Molly tournent uniquement autour de ce corps.


Et ça ?? qu'est-ce ?? mais voyons... une photo de Joyce à Trieste, saisi au vol par ma correspondante spéciale en Italie ! J'ai nommé Siu, qui fut, le croirez-vous, sa "voisine" car elle habitait l'immeuble voisin de la Berlitz School où il venait faire des cours, oui, oui ! "Il fréquentait aussi bien les pâtisseries et les "osterie" que les bordels, et  il enseignait l'anglais entre autre à Ettore Schmitz-Italo Svevo". Là, il est en train de se diriger vers l'immeuble de la fameuse Berlitz School. Pris sur le "vif", avouez que Bon Sens et Déraison est un blog réactif !

NOTE :
A voir à La Coursive (La Rochelle) mais aussi en tournée (voir le site de la Compagnie du Soleil Bleu)
Du 9 au 11 janvier 2013 à La Coursive de La Rochelle (17)
Le 31 janvier 2013 à Muret (31)
Du 5 au 9 février 2013 au Théâtre National Bordeaux Aquitaine (33)
Du 12 au 13 février 2013 au Moulin du Roc de Niort (79)
Du 21 février au 7 mars 2013 au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers (93)
Du 21 au 22 mai 2012 au Théâtre de l’Ouest Parisien – Boulogne Billancourt (92)
... et qui sait, dans d'autres salles sans doute ! 
Photos "empruntées" à Sud-Ouest

4 commentaires:

  1. Je guetterai les dates de tournée, si cela passe pas très loin, je crois que je me laisserai tenter!

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  2. La mise en scène de Laffague et le jeu de l'actrice valent qu'on y aille... par contre le dispositif scénique doit être drôlement difficile à adapter aux scènes : cela risque de rendre plus incertaines les représentations : il faut un théâtre susceptible d'accueillir cette chambre tournante !! au moins c'est sympa comme concept, Laffargue n'a pas fait ça "pour" le vendre ! car c'est difficile à vendre !!

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  3. Apparemment une mise en scène originale était nécessaire pour "épauler" un texte spécial. Ces déséquilibres voulus sont peut-être ceux de la vie, de nos pensées qui vont comme les boules d'un billard se heurtant d'un angle à l'autre.
    Sort-on serein et apaisé d'un tel spectacle ? J'en doute.... car je me demande si physiquement on ne peut s'empêcher de vivre les déséquilibres et rétablissements successifs de la comédienne.
    Bonne semaine à toi Michelaise
    PS : je dis peut-être n'importe quoi car à part ce que tu en as dit je n'avais jamais entendu parler de ce texte...

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    1. Oh non, tu ne dis pas n'importe quoi, on ne sort pas serein d'une telle pièce, on y a subi un tel flot de pensées entremêlées, pas toujours roses, parfois très, trop crues, on est un peu secoué et on a du mal à atterrir : car en effet, l'effet tournant de la scène nous tourneboule aussi !

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