lundi 11 mars 2013

PERE CENT


Faut-il écrire Père Cent ? Percent ? ou mieux encore Persan ? Peu importe, la tradition semble remonter au début du XXème siècle quand, à la fin du Service Militaire, on fêtait par quelques débordements les "libérables", cent jours avant qu'ils ne soient rendus à la vie civile. Ne soyons pas bégueules : les intempérances en tous genres ont toujours été nécessaires à l'équilibre social et, jouant le rôle de trop-plein, utiles pour évacuer quelques violences rentrées. Qu'on pense aux charivaris*, saturnales** et carnavals de tous poils, tellement anciens qu'il est hors de question de prétendre que notre époque est plus dégénérée qu'une autre.

Et en matière de manifestations estudiantines, le fameux monôme du bac, apparu à la fin XIXe siècle, sous la forme d'une pittoresque procession en file indienne, généralement effectuée la main sur l'épaule et rythmée par des chants, il prit à Paris une telle ampleur que la préfecture de police préféra l'interdire en 1968. Autant vous dire qu'Alter, qui passa son bac en 1967, y participa et en garde un joyeux souvenir. J'étais, quant à moi, chez les bonnes sœurs et pareille initiative ne nous serait même pas venue à l'esprit, tant nous étions mal informées des joyeusetés du monde !!!

L'idée de départ est de se défouler avant d'entamer la dure et difficile période des révisions menant aux examens du baccalauréat. Cette fête marquait donc une sorte d'entrée en Carême, période de décompensation après une année studieuse et avant les privations d'une préparation supposée ascétique. Autant dire que mon discours vous fait dores et déjà sourire, car on n'imagine guère nos lycéens pieusement penchés sur leurs livres durant les trois mois précédant l'épreuve, et même ceux qui travaillent dur n'ont guère pour habitude de se cloitrer durant 100 jours pour faire face au bac ! Mais bon, la tradition existe, elle n'a rien de blâmable et pourrait, si elle était pratiquée à bon escient, comme certains le font d'ailleurs, être fort sympathique. Pourquoi faut-il donc que, chaque année, les excès l'emportent sur la fête et que les titres fleurissent, toujours prompts à déplorer la démesure de certains jeunes ? On est censé, à cette occasion, se déguiser (il arrive qu'il s'agisse de singer les adultes qu'on va devenir mais qu'on n'a pas encore envie d'être), de défiler dans les rues, de demander aux passants de l'argent pour faire la fête, et, éventuellement, de les punir de leur refus en leur lançant de la farine et des œufs. Dans nos campagnes, les jeunes s'installent aux carrefours, arrêtent les automobilistes pour les "taxer", et leur offrent des bonbons et un sourire contre une pièce, n'hésitant pas à bombarder les véhicules en cas de refus.

Jusqu'ici tout va bien, même si certains proviseurs jugent nécessaire d'interdire la manifestation, de la décaler dans le temps pour qu'elle ne soit pas trop importante, de l'enfermer dans le lycée ou, au contraire, d'interdire l'entrée de l'établissement aux jeunes déguisés. On conçoit tout à fait leur crainte des exagérations et leur inquiétude  des comptes à rendre dans une époque où tout incident doit, nécessairement avoir un bouc-émissaire et où l'on sait qu'ils seront tenus pour responsables en cas d’anicroche. On appelle cela "le principe de précaution". On comprend donc tout à fait que certains s'émeuvent de la violence ainsi libérée, les jeunes étant souvent rejoints par des collégiens pas du tout concernés par l'événement et surtout désireux d'en découdre. Il est alors particulièrement difficile pour les adultes de garder la manifestation dans un cadre raisonnable et les "bonnes gens" victimes des facéties des jeunes sont instantanément prêts à oublier qu'ils ont eu 17 ans et, eux aussi, envie de provoquer les adultes. Les articles de journaux se déchainent, les édiles tentent des clips moralisateurs ou des arrêtés préventifs et les âmes sensibles trouvent dans le récit des exactions en tous genre matière à se révolter. Soyons certains que s'il arrive quelque jour un accident à la suite d'un Père Cent trop agité, nos gouvernants auront à cœur d'interdire purement et simplement la manifestation, avant qu'elle ne renaisse sous une autre forme.


Pourtant quand on sait qu'à la farine et aux œufs, susceptibles de nourrir quelques affamés (désolée, je ne fais pas dans l’apitoiement démago, il y en a dans notre société) s'ajoutent du ketchup, de la mousse à raser, de la moutarde, de l'urine, mais aussi, nouveauté de l'année, de la crème dépilatoire destinée, d'après l'aveu hilare des intéressés, à faire tomber les cheveux des malheureux atteints, on s'inquiète un peu plus. Car non contents d'imposer aux passants un nettoyage de vêtements, un lessivage de façade ou un lavage de voiture, les impétrants se livrent là à une atteinte pénible à l'intégrité des personnes, et sans la moindre idée que cela puisse être nuisible.

Mais finalement comment auraient-ils conscience d'aller trop loin quand il semble, et l'information m'a paru tellement choquante que j'ai décidé cet article, qu'Auchan, le jour en question sur la ville de Bordeaux, avait décidé de vendre "36 œufs pour 1 euro". Quand on sait que, parallèlement, les restos du Coeur, à court d'approvisionnements à cause d'un hiver particulièrement difficile pour les plus démunis, a dû lancer ces jours-ci une campagne supplémentaire de collecte afin de faire face aux besoins de plus en plus criants et de plus en plus fréquents de quantités de gens, pas nécessairement pauvres ou sans travail, on ne peut s'empêcher d'être outré qu'une chaîne commerciale ait eu une idée d'une telle démagogie. C'est carrément révoltant, et Bon Sens et Déraison s'indigne que la chaine n'ait pas eu une telle idée pour offrir aux "pauvres" des œufs à bon marché. Et j'espère de tout cœur obtenir au plus vite un démenti de la part des responsables du magasin, sur cette information que je tiens de lycéens d'un établissement bordelais, qui avaient, malheureusement, l'air très bien informés.


Notes extraites de Wikipedia (ici et ici)
* Le rituel est attesté dès le XIVe siècle. Il se tient à l'occasion d'un mariage jugé mal assorti (c'est notamment le cas des charivaris organisés lors du mariage d'un homme âgé avec une jeune femme) ou d'un remariage (notamment quand un veuf ou une veuve se remarie trop vite après le décès de son premier conjoint : il s'agit alors d'un rite funéraire dans lequel le bruit est le seul moyen d'expression du défunt). Le charivari pouvait durer très longtemps, tant que les personnes mises en cause n'acceptaient pas de verser une sorte de rançon, comme au minimum offrir à boire aux participants, et souvent de « courir l'âne »  : les conjoints devaient enfourcher un âne, la femme dans le bon sens, l'homme à l'envers, tourné vers le derrière et tenant en main la queue de l'animal, en général au moment du carnaval, au milieu de la foule qui les conspuait. Ces rituels effectués, le calme revenait. 

** Les Saturnales sont? durant l'antiquité romaine? des fêtes se déroulant durant la période proche du solstice d'hiver, qui célèbrent le dieu Saturne et sont accompagnées de grandes réjouissances populaires. Durant cette fête très populaire, les esclaves jouissent d'une apparente et provisoire liberté et l'ordre hiérarchique des hommes et logique des choses est inversé de façon parodique et provisoire : l'autorité des maîtres sur les esclaves est suspendue. Ces derniers ont le droit de parler et d'agir sans contrainte, sont libres de critiquer les défauts de leur maître, de jouer contre eux, de se faire servir par eux. Les tribunaux et les écoles sont en vacances et les exécutions interdites, le travail cesse. On fabrique et on offre de petits présents et des figurines sont suspendues au seuil des maisons et aux chapelles des carrefours.


6 commentaires:

  1. Tu as bien raison de t'indigner, et j'espère que cette tradition ne traversera pas l'Atlantique, car, à la suite du Sommet sur l'éducation, les 25 et 26 février derniers, il y a eu à nouveau quelques manifestations estudiantines qui ont entraîné de la casse au Centre-Ville de Montréal et de la crainte, chez ses habitants, de voir recommencer le printemps érable.

    La hausse de $ 1675 a pourtant été ramenée à un mince $70 lié à la simple indexation des frais de scolarité. Je trouve cela plutôt raisonnable.

    Par ailleurs, ce que tu racontes me fait penser à cette épidémie qu'il y a eue, il y a quelques années : on faisait subir toutes sortes de choses aux passants pendant que quelqu'un d'autre prenait le tout avec son portable.

    Ce qu'il y a de bien avec le carnaval ou les saturnales, c'est que le renversement des valeurs que ces fêtes entraînaient étaient circonscrits dans le temps et parfois même dans l'espace. Je pense que ce n'est plus tout à fait le cas...

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  2. Bon, ces malheureux étudiants vous tiennent décidément en haleine, et je comprends parfaitement tes inquiétudes. La hausse semble en effet modeste et on finit par se demander s'ils n'ont pas pris au goût à la grève... pour la grève ??
    Je crois vraiment que les excès sont parfois de bons exutoires mais ce qui a provoqué mon ire, c'est l'histoire de oeufs Auchan, cela me semble insupportable comme démagogie !

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  3. Je partage sans hésitation ton avis à propos du comportement d'Auchan.
    Quant aux excès qu'il y a de nos jours à n'importe quelle occasion, carnaval, nouvel an, diplome, fin d'anné scolaire etc., et je me réfère là à d'excès nuisibles pour soi-meme et les autres, je ne peux généralement pas m'empecher d'avoir quelque perplexité, car je crois que "semel in anno licet insanire" était quelque chose de juste, de naturel et meme sacré par rapport aux temps passés où pendant toute l'année, et à n'importe quel age -à moins d'appartenir à la catégorie restreinte des privilégiés- on ne faisait, on ne devait et ne pouvait rien faire d'autre que bosser, bosser et encore bosser. Mais aujourd'hui, quand n'importe qui (ou presque, mais surement qui est protagoniste des ces excès) peut feter et s'amuser n'importe quand, n'importe où et de n'importe quelle façon ? Je reste avec mes perplexités...

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    1. Très juste Siù, le défoulement n'a plus le caractère de nécessité absolue : les étudiants ne bossent pas vraiment comme des malades pour décrocher leurs examens, et leurs parents sont souvent assez cool avec leurs 35h... le trop-plein n'a plus vraiment lieu d'être, dans une civilisation où le loisir est roi.

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  4. Mes parents bien qu'ayant été étudiants tous les deux, mon père dans le cursus militaire et maman dans celui de la médecine, nous ont toujours inculqués certaines valeurs, comme celles de ne jamais jouer avec la nourriture et celle de ne jamais attenter à l'intégrité d'autrui.
    De nombreuses années ont passées et si pour la première il me reste une certain attachement viscéral, je me verrais bien déroger à la seconde afin de plonger dans les cuves de fabrication de crème dépilatoires ces petits (comment appeler ça, cela a-t-il un nom d'ailleurs) "jean-foutre" ainsi que l'aimable direction du supermarket en question.
    Histoire de décompresser comme eux.
    Quelle pression peut-il y avoir a passer le bac de nos jours?
    C'est une plaisanterie j'espère.
    Il faudrait envoyer tous ces tristes sires confectionner avec ces fameux œufs des omelettes (si ils en sont capables) pour les gens qui ont froid et sont dans la rue. Voilà de quoi les faire décompresser.
    Bon voilà voilà. Belle soirée

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    1. Par contre, il va falloir que je repasse mon bac pour l'orthographe. Je vais prendre celui des Iles de Lérins option retraite "ressourçante" .

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