En 1912, à l'occasion de travaux effectués sur la place du Champ de foire de Saujon, on découvrit, à près de 2 mètres de profondeur, l'emplacement de l'ancien cimetière du prieuré Saint Martin, fermé en 1845 pour être déplacé ailleurs. On mit aussi au jour les ruines d'un petit monastère qui succéda, semble-t-il, à un temple romain. De gracieux chapiteaux de marbre, datant de l'époque antique, témoignent de cette présence. Après 589, les reliques de Saint Martin de Tours, fondateur de l'abbaye de Saintes, et celle de son disciple et homonyme Martin, furent offertes au monastère de Saujon, fondé au siècle précédent, et qui adopta la règle bénédictine vers 650. Pillé et détruit par les Normands, les reliques disparurent à jamais mais en 1095, le pape Urbain II donna le village de Saujon au monastère Saint Martial de Limoges qui y reconstruisirent un prieuré dès le début du XIIème siècle. Mis à sac par les anglais en 1415, il ne fut pas trop endommagé et continua à accueillir des moines, mais on sait qu'en 1545 l'abbaye était bien déserté: le Seigneur de Saujon, Denis Pierre de Campet, était de profession protestante et protégeait les idées de la Réforme. Progressivement ce lieu de prière est délaissé et disparaît définitivement avant 1683, date de consécration de l'église paroissiale actuel, même si le prieur de Saint Martin, "coseigneur" de Saujon, continue à percevoir la dîme dans les registres fiscaux.
Lors des fouilles on trouva des colonnes parées de fresques à dessins trifoliés accompagnés de fleurs de lys, des fragments d'arc et les fondations des murs, mais la découverte la plus importante fut celle d'une crypte où l'on découvrit quatre magnifiques chapiteaux du XIIème, recouverts d'un crépissage avec des dessins rouges et jaunes et sculptés sur les trois faces. Malheureusement stockés sous le préau de l'école municipale durant des années, ils ont presque perdu toute trace de polychromie mais n'ont pas été abîmés par les intempéries, ce qui permet de les admirer dans toute leur splendeur, presque aussi « vifs » que les taillèrent les sculpteurs médiévaux.
Tous quatre présentent de très hauts tailloirs (partie supérieure du chapiteau) formés d'un large bandeau lisse et d'une partie à large chanfrein. Ils étaient supportés par des colonnes enduites de mortier blanc, ornées de losanges peints en vert, rouge ou jaune. Les chapiteaux eux-mêmes sont traités avec une recherche de détails et d'enjolivements minutieux qui ne laisse pas un espace sans décor ! L'iconographie de ces témoignages d'un prieuré disparu est très riche. Quatre thèmes sont largement développés, dont trois classiques et le dernier un peu mystérieux.
Daniel dans la fosse aux lions siège, assis sous une mandorle parsemée de perles et évasée du bas, comme sous un dais.
Barbu, tenant le Livre dans la main gauche et bénissant de la dextre, il est vêtu d'une robe et d'un riche manteau, attaché sur la poitrine par une agrafe en forme de croix.
Ses pieds nus reposent sur l'astragale de la colonne, mais son attitude est tellement hiératique et paisible que cette nudité ne nuit nullement à sa majesté.
D'autant qu'il est flanqué de quatre lions, armés de
Daniel, dans cette mise en scène symbolise le chrétien serein au milieu des dangers car il bénéficie de la protection divine et s'en remet à la sagesse de son Créateur.
La représentation du « pèsement des âmes » (voir plus haut) est assez traditionnelle : Saint Michel, équipé de fort belles ailes, donne la main à une âme nue, fragile et timide, parfaitement asexuée, de la même taille que lui et placée sur le côté du chapiteau.
Il s'apprête à l'installer dans labalance aux ravissants paniers d'osier tenus par trois solides cordes tressées qu'il tient dans l'autre main. Balance qui penche, fort opportunément, du côté du bien.
Et ce malgré les efforts grimaçants d'un atroce diable pustuleux qu'un ange à la robe finement travaillée tente de repousser de la main gauche. La laideur de ce suppôt de Satan est propre à vous décourager à vie de commettre quelque péché que ce soit !!
Ce chapiteau, d'une précision éblouissante, d'une composition parfaite (on admire en particulier la façon dont le sculpteur a sur remplir les vides avec les pointes des ailes des anges) surprend par sa qualité d'exécution : la richesse des vêtements, l'expressivité des personnages, l'élégance aérienne des plissés, la justesse des proportions en font un des sommets de la sculpture saintongeaise de l'époque romane.
Aussi fouillée et aussi belle est la scène du troisième chapiteau, celui qui représente les saintes femmes au tombeau, dont la scène de la Résurrection. On y retrouve la même verve et le même ciseau, plein de talent et fort habile.
Au centre, sous une triple arcature posée sur des colonnes torsadées d'une parfaite maîtrise perspective (remarquer qu'elles s’évasent en trapèze pour accentuer l'impression de profondeur, comme une annonce de la perspective !) le tombeau prend la forme d'un sarcophage de pierre posé sur de petites arcades et orné de losanges réguliers. Le couvercle, qu'on devine en forme de toit, est largement ouvert et laisse s’échapper, comme mû par un souffle divin, le linge plissé du Suaire, bordé d'un précieux galon ouvragé.
Devant le cercueil vide un ange, solidement campé sur l'astragale, les jambes doucement fléchies -il semble assis sur le bord du sarcophage -, les ailes confortablement installées contre les piliers du mausolée, affecte un air à la fois surpris et fataliste : il lève sa main gauche pour expliquer la disparition du cadavre et sa montée auprès du Père. Cette scène centrale est complétée, par deux épisodes où interviennent les femmes de l'entourage de Jésus.
Les trois Marie, drapées dans des tenues très complexes (elles ont mis leurs plus beaux atours !), le visage entouré d'un voile très pudique, arrivent à la queue leu leu sur le côté droit de la scène et, la main sur le cœur, manifestent leur étonnement. Elles tiennent à la main les pots de parfums destinés à l'embaumement du cadavre, retardé par le sabbat, et se penchent avec curiosité vers le tombeau vide.
Sur le troisième côté, le Christ apparaît à Marie-Madeleine : il n'est pas nimbé (alors que Marie-Madeleine l'est !) et, habillé de riches vêtements, il arbore une longue chevelure et une barbe soigneusement ondulées. La scène est ramassée mais très animée : Marie-Madeleine, voile au vent, semble arrêtée dans sa course par le geste du Christ... ce qui est un exploit vu l'étroitesse de la scène.
Le dernier chapiteau, sans doute le plus original du point de vue iconographique, surprend par la modernité de sa composition : au centre, un homme genou en terre, se tient en strict profil, sa large ceinture habilement croisée sur son manteau drapé. Il tient sur son épaule, sans effort apparent, un énorme poisson tout rutilant d'écailles régulières.
L'animal, qui se termine par une tête rieuse au faciès presque humain, forme une gracieuse courbe qui englobe le personnage comme un arc décoratif. La scène, quoique fort énigmatique, fait immédiatement penser à Tobie. On sait que Tobie, dont le père était aveugle, fut averti par l'ange Raphaël, alors qu'un énorme poisson sautant d'un lac lui échut, que le fiel de cet animal pourrait guérir la cécité de son père.
Le personnage qui flanque la scène et s'avance vers le porteur de poisson pourrait être ce père : comme lui richement vêtu, et portant des chausses élégantes. Assez paradoxalement dans ces 4 chapiteaux, les personnages importants sont nus-pieds (David, les anges, le Christ lui-même), alors que les modestes terriens sont joliment chaussés (les femmes du tombeau, Tobie, son père).
Tobit (le père) porte sur l'épaule un outil qui pourrait être une bêche : en effet, ce dernier, homme pieux et très respectueux des préceptes de charité, ensevelissait en secret ses frères de la Tribu d'Isräel, massacrés par Sennachérib. Dépouillé de ses biens par le méchant roi et caché pour échapper à l'arrêt de mort qui le frappait, Tobit continuait son oeuvre pie. Or, un jour qu'il accomplissait ainsi son devoir, il était sous un nid d'hirondelles et de la fiente chaude de ces oiseaux tomba sur ses yeux et le rendit aveugle.
L'écriture dit que Dieu voulut, comme il le fit pour Job, "que sa patience servit d'exemple à la postérité". La houe que porte ce personnage pourrait alors symboliser l'instrument avec lequel il enterrait les morts, et ses yeux largement ouverts, l'instant où le poisson envoyé par le Seigneur va le guérir. D'ailleurs il le touche, et déjà ce contact semble lui rendre la vue
les chapiteaux sont fascinants... cette écriture des pierres je crains qu'elle se perde pour nos petits enfants !
RépondreSupprimerTu veux dire la compréhension de ce que qui s'y raconte ? C'est vrai que pour les comprendre et leur donner vie et sens, il faut avoir un minimum de "culture" religieuse : sinon ce sont juste des scènes, figuratives, dont on ne saisit pas la teneur.
SupprimerSplendide, sont ils maintenant dans un lieu plus adéquat que la cour du préau et les maîtres d'école successifs les ont-ils expliqués aux élèves ?
RépondreSupprimerOUi, ils ont été installés dans l'église, et, luxe suprême, deux d'entre eux sont à hauteur de nez !! d'où les photos ...
SupprimerJe rejoins l'avis de Josette: absolument fascinants, d'autant plus qu'on a la chance de les voir presque intacts. Dommage que nous n'en avons que 4 !
RépondreSupprimerEt puis j'aime bien les "quatre lions, armés de pâtes à trois doigts" pâtes italiennes à coup sûr ! ;))
Oh là là Philfff je vais vite corriger cela, c'est mon sang latin qui m'a trahie !!! merci !!!
SupprimerCes scènes de chapiteaux sont magnifiques et je peux vous affirmer que, depuis que je m'essaye en débutante à la sculpture sur pierre (tendre), j'admire encore davantage de telles merveilles que vous présentez d'une manière passionnante. Merci, Michelaise ! Je vous souhaite une belle semaine.
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il y a dans ces pierres, aussi, le coup de marteau des sculpteurs du XIIème siècle, finalement si proches de nous dans la sensibilité !
SupprimerMagnifiques et impressionnantes scènes de chapiteaux! j'aime beaucoup ce billet!
RépondreSupprimerMerci Catherine ... il faut avouer que les sculpteurs médiévaux avaient une sacrée verve... voire une verve sacrée en l'espèce !
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