LES VACANCES DE MONSIEUR PERNOO

Sur le Festival les Vacances de Monsieur Haydn 2013

Jerôme Pernoo est un violoncelliste libre !!! Son plaisir est, nous dit-il, de transmettre... « sa passion pour la musique, pour la beauté, le savoir, le rire, le doute, l'expérience ». Et pour cela, tous les moyens sont bons : le concert, le cours, le discours, l'internet, et surtout des tas d'initiatives originales, intelligentes et, partant, efficaces ! Il invente et réinvente la musique, celle avec un grand M, et son imagination n'a pas de borne quand il s'agit d'amener le plus grand nombre de gens à admettre que oui, cette musique-là, dite classique, est aussi pour eux : belle, vivante, parfumée, facile d'écoute, même si elle est parfois savante ... Il sait la rendre accessible, compréhensible et son Festival est vraiment limpide et joyeux.

Il y règne une ambiance très jeune, puisqu'y sont invités une bonne partie de ses étudiants, qui s'égayent dans la petite station thermale de la Roche Posay pour un Off d'environ 80 concerts. Ses élèves, pour lesquels il concocte sans cesse de nouvelles formules afin de rendre leur apprentissage plus convivial. Du Moulin du Bien-Nourri dont son livre, l'Amateur, se fait largement l'écho comme d'une expérience unique de pédagogie musicale, au voyage sur le Transibérien de l’hiver dernier, il a plus d'un tour dans son archet pour passionner "ses" jeunes. La balade en train avec sa classe de violoncelle au CNSM ⁽¹⁾, a fait l'objet d'un "feuilleton" cet été sur France Musique  ⁽²⁾ : 8 jours de voyage de Moscou à Vladivostok, 9258 kilomètres, la neige, les roulements réguliers et lancinants du train, les gares improbables, le changement permanent de fuseau horaire ... pour tous ces jeunes, une expérience inoubliable.

L'idée de Jerôme Pernoo étant de faire approcher "l'âme russe" à ses élèves, pour mieux appréhender le répertoire slave. Passionnant périple où l'on apprend des tonnes de choses, par exemple que les français, lorsqu'ils sont angoissés lèvent de plus en plus la voix, et au dire des russes "on dirait du Debussy", alors qu'eux parlent toujours grave, voire guttural ! On y découvre l'art de la lenteur, celui d'un rythme où le temps n'existe plus que selon les rayons du soleil sur la campagne enneigée. Notre "filleule" la jeune violoncelliste Lucie Mercat était du voyage et j'espère qu'elle aura le temps de nous raconter cette aventure russe !

Et voilà qu'il vient d'inventer encore, en créant l'école des mélomanes. Aux comptoirs des bistrots de la Creuse et du Val de Gartempe, dans les usines désaffectées ou les petites églises locales, il invite les « spectateurs non avertis » à une écoute approfondie, curieuse et décontractée, pour désacraliser la musique de chambre. Avouez que c'est génial : répondre aux questions des spectateurs sur la musique, les styles des compositeurs, leur expliquer les œuvres, voilà ce que tous les publics plébiscitent, même les plus avertis, voilà surtout ce qui peut permettre au plus grand nombre de "franchir le pas" et d'aborder les concerts dans les meilleures dispositions.

Il est malin Jérôme Pernoo : car les musiciens, "ses" jeunes en particulier, n'auront aucun avenir si les têtes chenues que nous sommes disparaissent sans héritiers de l'amour de la musique ! Et, à une époque où l'on se préoccupe beaucoup (trop, souvent, et mal, parfois !*⁽²)) de "permettre à tous les jeunes de se constituer une culture personnelle riche et cohérente tout au long de leur parcours scolaire, de développer et renforcer leur pratique artistique et de leur permettre la rencontre des artistes et des œuvres, et la fréquentation de lieux culturels" (je cite, vous vous en doutez, les objectifs du programme culture de l'éducation nationale qui a le vent en poupe cette rentrée), cela me semble particulièrement méritant de se préoccuper d'apporter aux autres, les pas jeunes, les clés de compréhension de la musique "Classique".

Et tout cela, sans démagogie, car Jérôme Pernoo a une approche très respectueuse de la musique et de l'interprétation. Il affirme d’ailleurs que l'interprétation parfaite «c’est celle où l’interprète disparaît absolument. Bien sûr, l’œuvre le traverse et s’imprègne de toute sa sensibilité, sa compréhension, etc. Mais l’interprète n’existe plus « en soi », en tant qu’homme. Il incarne l’œuvre qu’il représente. Il devient, comme l’observe Proust sur la Berma, une fenêtre qui s’ouvre sur un paysage. L’interprétation « parfaite », même si elle est le résultat de la connaissance et de l’imagination, même si elle est préméditée, se crée dans l’instant. Elle sera différente chaque fois et nous échappera entièrement dès qu’on cherchera à la définir.»

C'est cet état d'esprit, cette approche à la fois décontractée, conviviale et tellement professionnelle de la musique de chambre que nous apprécions particulièrement à La Roche Posay. Pour la 9ème édition du Festival des vacances de Monsieur Haydn, 8 concerts In ⁽³⁾ avec le quatuor Zaïde, Alain Altinoglu, Paul Meyer, Segey Malov, Nora Gubish, Julien Clément, les deux Jérôme, Pernoo et Ducros... et bien d'autres. Le programme, toujours très éclectique, nous propose une intégrale des oeuvres de Jérôme Ducros, entouré de grands chefs-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre (Trio opus 100 et 15e Quatuor de Schubert, Quintette de Mozart avec clarinette), de quelques curiosités (violoncello da Spalla, Fantaisies de Purcell, duo des Lunettes), et même, nous dit-on, de surprises ! Parallèlement le Off propose des concerts courts dans tous les lieux de la ville, pour entendre les jeunes du CNSM qui font ici leur "rentrée" : l'occasion pour nous de parier sur les talents de demain.

(1) Jeremie Billet/ Laure Le Dantec/ Bruno Philippe/ Manon Gillardot/ Lucie Mercat/ Angèle Legasa,/ Raphael Cumont-Vioque/ Caroline Sypniewski/ Samy Rachid/ Ivan Karizna/Adrien Bellom/

(2) Les 8 épisodes du feuilleton "Une ballade transibérienne : de Moscou à Vladivostok sont disponibles jusqu'au 16 mars 2014 et poscastables : je vous les recommande vivement : musique russe, poèmes témoignages des participants au voyage, le montage est très bien fait.

(2) Qu'on me pardonne cette manifestation d'humeur, mais ne présenter aux jeunes, comme on le fait "chez moi", la Qulture qu'à travers les installations, de préférence interactives, les happening et autres art en réseau, virtuel ou renouvelable, sans parler des incontournables interventions artistiques, c'est forcément réducteur. Voire destructeur. Car il me semble que l'approche de l'art suppose un minimum de bases et de références, dont l'apprentissage n'est pas nécessairement ardu, si l'on sait y faire ! Prétendre que les Binuchards soit une ouverture à la susdite Qulture, me plonge dans des abîmes de perplexité !

(3) Parmi ces concerts, 4 seulement sont payants, les autres obéissent à la sympathique formule Comvoulvoul, autant dire qu'on laisse ce qu'on veut dans la corbeille !

Les photos sont pour la plupart personnelles (Festivals 2010 et 2011), et les portraits proviennent du site de Jérôme Pernoo où on lit, avec un rare plaisir "Les photos de la galerie sont libres de droit si vous souhaitez illustrer un article sur le musicien et son actualité (crédit photo Alix Laveau)". Les photos "russes" sont de Lucie Mercat.