On a suivi les panneaux, tous neufs d'ailleurs ! Et de tourner à droite, et de virer à gauche, et que je monte, et que je redescends... mais où donc allons-nous ? On ne sait même pas ce que c'est qu'elle est, cette abbaye : neuve, 19ème, gothique, romane ?? Soudain, un repli du terrain, un petit val verdoyant et discret...
- C'est sûrement là ...
- Dans un endroit pareil, ça doit être une abbaye cistercienne !!
Et c'est une ancienne abbaye cistercienne, en effet, sauvée depuis peu de la ruine et des ronces. L'endroit est encore très peu aménagé, en pleine restauration mais depuis quelques mois se visite et, agrémenté de panneaux explicatifs très clairs, permet de "retrouver" le lieu, en partie détruit par la Guerre de Cent ans, la commende, les guerres de religion et la Révolution.
C'est Isambaut de l'Étoile, frère de Pierre de l'Étoile, lui-même fondateur de l'abbaye de Fontgombault, qui, au début du XIIème siècle vint créer ici un ermitage au lieu-dit "Font à Chaux", sur les terres de Monsieur de Cenvis, seigneur de Chauvigny. En 1124 une communauté bénédictine s'installa dans l'ermitage, qui fut agrégé à l'Ordre de Citeaux en 1145, dans la filiation de Pontigny. Dès lors l'abbaye prospéra et prit l'allure d'une "fille" cistercienne dans les règles de l'art. Une vraie leçon d'architecture monastique, qui nous a rappelé avec ravissement le temps où nous découvrions les règles d'organisation des monastères de l'Ordre, et où nous apprenions à nous situer dans l'espace de ces lieux destinés à la prière et à l'isolement, mais rapidement érigés en petites unités économique, efficaces et civilisatrices.
Au départ, un vallon et une source ou une retenue d'eau. Ici, ce sont les moines qui ont créé le petit lac auprès duquel ils construisirent un moulin et un vivier, qui fournissait à la communauté les poissons constituant la base de l'alimentation maigre.
Le moulin, devenu rapidement boulangerie, est certes très remanié, mais il garde son emplacement primitif, un peu en dehors de l'espace consacré à la prière et la vie des moines (4 sur le plan ci-dessous).
Toujours à l'extérieur de l'enceinte monastique, située ici sur la gauche de l'Abbaye, l'exploitation agricole comprenait des écuries, des étables, un fenil et divers ateliers. Ce sont actuellement des bâtiments privés, qu'on ne visite pas mais dont la présence reconstitue parfaitement l'état d'esprit qui présidait à la construction des monastères. Il s'agissait pour les moines de vivre en autarcie et ils développaient autour de leur installation tous les bâtiments nécessaires à une économie agricole très évoluée, constituant pour les paysans des environs un vrai modèle d'organisation agraire.
A droite de l'entrée de l'église, se trouve encore, quoique fort délabré, le bâtiment des convers, situé dans la zone accessible aux laïcs et aux étrangers au monastère. Son aspect actuel, encombré de piliers de soutènement et de plaques de zinc, n'a rien de bien affriolant et promet de longues campagnes de remise en état !
Construite sur le point le plus haut du site, l'église abbatiale est assez tardive : elle fut construite à la fin du XIIème siècle dans le plus parfait esprit d'austérité de la spiritualité cistercienne. Sa façade, dont le pignon atteignait 25 mètres, ressemblait à s'y méprendre à celle de l'abbaye du Pin à Béruges, fille comme elle de Pontigny : sobre, percée d'une porte modeste et sans le moindre décor, surmontée d'une vaste verrière pour éclairer la nef, elle est actuellement amputée de toute sa partie supérieure et n'offre plus au visiteur qu'un aspect bien pitoyable.
L'intérieur est aussi dévasté, mais on a pu reconstituer son agencement d'après les fondations encore présentes dans le sous-sol de ce qui fut, longtemps, un hangar. Le chœur à chevet plat et le transept, où s'ouvraient quatre chapelles de plan carré, répondaient avec rigueur à la règle de Saint Benoît : "l'Oratoire sera ce qu'indique son nom. On n'y fera, on n'y mettra rien qui n'ait rapport à sa destination".
Il ne reste rien du fond de l'église, sauf une des 4 chapelles transformée en petit oratoire. On a sommairement bouché l'arc d'entrée de cet édifice, maintenant isolé à l'arrière de l'église et dressant sa petite croix sur le ciel dégagé.
Au sud de l'église s'étendait le cloître, organisé autour de son élément essentiel, heureusement encore présent dans sa simplicité : le puits, ou lavabo qui permettait aux moines de faire leurs ablutions avant le repas. C'est là, dit-on, que se jeta par désespoir le dernier abbé de l'Etoile, resté seul dans son abbaye ruinée et dépeuplée. Comme le réfectoire était traditionnellement éloigné du lieu de prière, le puits s'élève du côté le plus opposé au mur le l'abbatiale, complètement au sud.
"Réinventé" grâce à différents sondages menés à diverses profondeurs, le cloître remplissait l'espace entre le bâtiment des convers et le mur gouttereau de l'église : on l'a facilement reconstitué pour améliorer la lisibilité de l'édifice.
Au fond, parallèle au transept disparu, demeure, presqu'intacte, toute l'aile du chauffoir, du passage sur jardin et de la salle capitulaire, construite dans le cours du XIIIème siècle.
Petite, l'abbaye était modeste, et sobre, elle offre une collection de chapiteaux aux formes végétales très géométriques, qui traduisent parfaitement la volonté de sobriété de l'ordre cistercien.
Les corbeilles s'ornent de feuillages variés mais dépouillés, le tailloir est dépourvu de tout ornement et l'astragale est un simple renflement de pierre, régulier et sans chichi.
Seuls les chapiteaux donnant sur le cloître, plus anciens que ceux de la salle capitulaire proprement dite, offrent un tailloir décoré de quelques motifs géométriques, sobres et élégants.
A droite du chapitre, voûté et étonnamment intact, subsiste le mythique passage sur jardin. Mythique pour moi car ce couloir, marquant l'ouverture vers le monde laïque, m'a toujours fascinée !! Il est ici bordé de petites cellules; certes authentiques, mais dont la destination a sans doute été modifiée avec les ans, comme ce local d'aisance, peu courant dans les abbayes cisterciennes !
Par contre, la prison, réduit éclairé d'une minuscule fenêtre et dans lequel on pénètre par une porte basse, fut autorisée par la règle cistercienne dès 1206. Sur décision de l'abbé, les moines ayant commis de graves manquements aux règles monastiques ou coupables de différents méfaits, allant du vol au meurtre, y étaient enfermés pour un temps de pénitence et de repentance. On y lit, gravés au XVIIème siècle par des frères pénitents, quelques graffitis et même des extraits des actes des Apôtres : Petrus quidem servabatur in carcere (Pierre était donc gardé en prison) et Quies me eripiet de manu Herodis (Qui m'arrachera de la main d'Hérode ?)
Une association de sauvegarde de l'édifice s'est fort opportunément créée, pour sauver ce qui restait de l'édifice, en 1982. Avec la commune d'Archigny, propriétaire des bâtiments, et la communauté d'Agglomération du Pays Châtelleraudais, qui finance les restaurations, elle gère le site, le fait visiter et surtout le fait vivre, par des concerts, conférences et autres spectacles, qui permettent de maintenir une animation culturelle et de faire visiter les lieux au public. Initiative qui mérite d'être saluée car l'Étoile était, auparavant, en bien piteux état et fort oubliée : même le Zodiaque consacré au Haut Poitou Roman ne l'évoque pas ! Pourtant, Dieu sait si ces livres sont complets et bien documentés.
Jolie visite ! une abbaye perdue quelquepart et à redécouvrir, c'est toujours assez palpitant !
RépondreSupprimerJ'avoue que ce qui m'étonne toujours c'est l'organisation, encore perceptible, de ces centres de vie qu'étaient les abbayes.
Supprimer4 jours après vous je passais à l'Etoile, j'ai bien aimé le regard que vous y promenez ... j'ai porté aussi un regard intuitif, voire irrévérencieux ... Je me suis permis de vous emprunter une image, si vous le désirez je l'effacerai de mon récit:" Cloîtres - L'abbaye de l'Etoile 86" cordialement Tarambana
SupprimerPas de problème pour l'image, merci de me l'avoir signalé, c'est très aimable à vous de prendre cette précaution !!
SupprimerEt votre irrévérence est très logique "La plus miteuse des façades occidentales d'abbayes cistercienne ! " et pourtant, vous le signalez fort bien une équipe de restauration dont la foi a fait quelques miracles et en fera encore ! Ravie de ce partage