samedi 23 novembre 2013

MIROIRS BRÛLANTS


Plume d’eau claire pluie fragile 
Fraîcheur voilée de caresses 
De regards et de paroles 
Amour qui porte ce que j’aime

"Si l'on mettait sur ma tombe : ci-gît Francis Poulenc, le musicien d'Apollinaire et d'Éluard, il me semble que ce serait mon plus beau titre de gloire", écrivait le musicien en 1945. Et de fait, ce grand amateur de poésie fut réellement inspiré par les textes de ses amis auteurs. Nous avons, grâce à Guillaume Coppola et Marc Mauillon découvert avec une réelle émotion l'intégrale des pièces écrites sur des textes de Paul Éluard. Le concert présentait ces 34 pièces, toutes très courtes mais très intenses, dans l’ordre chronologique. Le musicien habitait rue de Médicis, juste au-dessus de la librairie José Corti, et, nous dit-il, c'est là qu'il découvrit en 1938 Tu vois le feu du soir, qui allait devenir la première, et d'ailleurs la plus longue mélodie du cycle Miroirs brûlants, que les interprètes ont choisi pour nommer leur concert.


Tu vois le feu de soir qui sort de sa coquille
Et tu vois la forêt enfouie dans la fraîcheur 

Tu vois la plaine nue aux flancs du ciel traînard
La neige haute comme la mer 
Et la mer haute dans l’azur 

Pierres parfaites et bois deux secours voilés 
Tu vois des villes teintes de mélancolie 
Dorée des trottoirs pleins d’excuses 
Une place où la solitude a sa statue
Souriante et l’amour une seule maison 

Tu vois les animaux 
Sosies malins sacrifiés l’un à l’autre 
Frères immaculés aux ombres confondues 
Dans un désert de sang 

 Tu vois un bel enfant quand il joue quand il rit 
Il est bien plus petit 
Que le petit oiseau du bout des branches 

Tu vois un paysage aux saveurs d’huile et d’eau 
D’où la roche est exclue où la terre abandonne 
Sa verdure à l’été qui la couvre de fruits 

 Des femmes descendant de leur miroir ancien 
T’apportent leur jeunesse et leur foi en la tienne
Et l’une sa clarté la voile qui t’entraîne 
Te fait secrètement voir le monde sans toi.


Partie vocale et partie chantée sont, chez Poulenc, très complémentaires : le piano n'est pas là en accompagnement mais c'est un duo où les deux intervenants ont tour à tour la parole, comme dans un dialogue parfaitement équilibré. Poulenc d'ailleurs, assura lui-même la création de ses mélodies, au côté du baryton Pierre Bernac. Coppola et Mauillon affichent cette même parité entre les partenaires, se donnant mutuellement la parole pour mieux porter le discours du musicien et du poète. Le chanteur et le pianiste sont totalement complices, et servent admirablement ces partitions audacieuses.
Une de ces suites m'a particulièrement touchée : intitulée "le travail du peintre", c'est un cycle de 7 mélodies sur des poèmes extraits du recueil "Voir : poèmes, peintures, dessins" (1948). Poulenc en composa la musique en août 1956 et la première exécution eut lieu à l' École normale de musique de Paris, le 1er avril 1957. Alice Esty, soprano et dédicataire de l'oeuvre, chantait, accompagnée par le compositeur. On y rencontre successivement : "Pablo Picasso" (no 1) ; "Marc Chagall" (no 2) ; "Georges Braque" (no 3) ; "Juan Gris" (no 4) ; "Paul Klee" (no 5) ; "Jaon Miró" (no 6) ; "Jacques Villon" (no 7). Des textes très évocateurs sur des musiques très imagées, voilà de quoi ravir votre Michelaise !


 Âne ou vache coq ou cheval
 Jusqu'à la peau d'un violon
 Homme chanteur un seul oiseau
 Danseur agile avec sa femme

 Couple trempé dans son printemps

 L'or de l'herbe le plomb du ciel
 Séparés par les flammes bleues
 De la santé de la rosée
 Le sang s'irise le cœur tinte

 Un couple le premier reflet

 Et dans un souterrain de neige
 La vigne opulente dessine
 Un visage aux lèvres de lune
 Qui n'a jamais dormi la nuit.

Un concert vraiment passionnant - on est suspendu aux lèvres du baryton, on se laisse emporter par les échappées du clavier - servi par deux interprètes vraiment talentueux, et qui sont d'autant plus courageux que ce genre de musique n'est pas très "tendance". Merci à Guillaume Coppola et à Marc Mauillon de nous avoir permis de découvrir cette partition très riche.

12 commentaires:

  1. Mais dis moi à peine sortie du concert voila que tu publies à chaud et avec toujours le même talent
    Royan à la pointe de l'actualité musicale, le CD est sorti il y a à peine un mois et cela serait dommage de se priver de ce moment à un prix si doux je n'en reviens pas 18 euros cela fait rêver les parisiens!
    Je ne sais pas si tu sais que Poulenc habitait rue de Médicis juste au dessus de chez José Corti il avait donc juste à descendre les escaliers pour se plonger dans la poésie
    José Corti tu ne te souviens peut-être pas mais ces éditions ont été reprises par le frère d'un de nos amis le gentilhomme est parrain d'une de ses filles c'est cette maison qui édite entre autre Pessoa je crois que je t'avais offert un Pessoa venant de la rue de Médicis mais je me trompe peut-être ,Aloïs.....
    J'ai trouvé sur le net une analyse musicale qui devrait t'intéresser si ce n'est pas le cas je pense que cela amusera Alter mais je me trompe peut-être

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    1. J'ai publié à chaud car j'avais envie de saluer le courage des interprètes qui, avec ce concert, offrent une prestation qui a le mérité d'être de très grande qualité, mais qui, malheureusement, n'est pas dans l'air du temps ! Et nous étions si peu nombreux, malgré des tarifs très doux (les habitués, munis de cartes ne payaient même pas 18€, mais 15 !!) que j'ai eu un peu honte de nous... honte aussi du comportement de certains, certaines devrais-je dire, même si l'ensemble du public a été très attentif.
      Ces analyses musicales sont, en effet très intéressantes et particulièrement pointues d'un point de vue musical. Tu as parfaitement raison de les pointer.
      Je me souviens parfaitement du Pessoa de chez Corti et c'est pour cela que j'ai signalé que Poulenc habitait au dessus !

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  2. Oups voila ce qui arrive quand on lit trop vite tu savais que Poulenc habitait au dessus de chez Corti !!!!
    Ou bien lu et déjà oublié et oui c'est bien moi Aloïs!!!

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    1. Il est normal de lire vite, et de ne pas tout voir, mes articles sont souvent très, trop, longs !! Pour autant, je m'aperçois qu'heure tardive aidant, j'ai encore mélangé mes touches et écrit Conti au lieu de Corti !!

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  3. Que c'est beau ! Comme j'aurais voulu assister à ce concert ! Merci de nous faire partager vos émotions et de nous donner une idée de ce moment magique. Bon dimanche, Michelaise !

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    1. J'espère surtout que si, ce qui est peu probable, les interprètes se googlisent (oups !!???) ils trouveront là l'expression de notre reconnaissance de spectateurs...

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  4. J'ai trouvé particulièrement émouvante la façon dont Marc Mauillon a simplement et sensiblement dit un poème, avant d’interpréter avec le pianiste l'ultime œuvre de Poulenc.
    J'ai quand même un peu de mal avec sa musique...

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    1. L'instant était vraiment très émouvant... et j'ai eu encore plus honte de la dadame dont le téléphone avait déjà sonné une première fois et qui, une fois de plus, s'est levée sans aucune retenue pour aller répondre (on a cru la première fois qu'elle sortait pour aller l'éteindre, confuse, mais que nenni puisqu'il a de nouveau sonné : elle devait donc sortir pour répondre ?!), sans aucun respect pour les interprètes, massacrant l'émotion du public, en gros, une vraie gougnafière ! Devant moi, une autre dadame est arrivée en retard, a passé le concert à surfer sur son ipod, et est partie avant la fin. Tant pis pour elle, mais aussi tant pis pour moi qu'elle a considérablement gênée avec son écran scintillant, et pour les interprètes qui, forcément, devaient suivre les avancées de ses consultations se reflétant sur son visage. S'ils ont pensé que les royannais étaient des ploucs, ils n'avaient pas totalement tort, bien que le public ait été très attentif et pris par le concert !
      Je ne t'ai pas vue Noune, désolée, pourtant nous étions peu nombreux. Mais c'est de ma faute, j'aurais dû me douter qu'Eluard t'aurait attirée !! Quant à Poulenc, LE compositeur pour la voix, je suis certaine qu'en l'écoutant tu as tout de même appris à mieux l'aimer. Oui il n'est pas facile mais que ses mélodies sont subtiles, imagées et admirablement adaptées au texte. Coppola l'a rendu avec une finesse remarquable.

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    2. J'étais tout à fait devant, très bien placée. Je trouve aussi le public royannais assez mal élevé, se croyant tout permis.
      Lorsque je chantais dans une chorale, nous avions appris - tenté d'apprendre car c'était très difficile tout autant que sublime, "Miroirs brisés", du même par le même. :) Bonne soirée à tous deux.

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    3. Quelques personnes se sont, en effet, très mal comportées !! Quant à Poulenc, je l'ai aussi chanté en chorale (pas miroirs brûlants cependant !!) et nous trouvions que c'était génial à chanter, par contre le public s'ennuyait ferme !!!
      Normal que nous ne t'ayons pas vue, nous étions au dernier rang ;-) et n'avons pas traîné à la fin du concert, même si l'envie de rencontrer les interprètes était réelle pour leur dire notre plaisir... d'où mon article (au cas où ils le liraient !!)

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    4. Non c'è due senza tre..!!.. moi aussi j'ai chanté Poulenc en chorale, à savoir "Belle et ressemblante" dont fait partie le vers "Tout miroir des miroirs brisé".

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    5. Allons bon, alors on va faire un choeur !

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