mercredi 17 juin 2009

PONTCARRAL : MYTHE OU REALITE ?

Il me fallait, les filles, éclaircir ce mystère de Pontcarral et de la tradition familiale qui tient tant au cœur de votre grand-mère, et que Michel traite avec une désinvolture un peu excédée. Il est si rationnel, si soucieux de la véracité des faits, si peu prompt à s'enthousiasmer sur les légendes que ces histoires revues et corrigées à une sauce flatteuse donnent l'impression de le contrarier. Du coup, il n'a jamais écouté tout cela que d'une oreille, et mes demandes de précisions se sont heurtées à un mur d'imprécisions.
Le plus simple était donc de demander des éclaircissements à Mamie, et ainsi Michel, qui lit bien régulièrement "Bon sens et Déraison" (même si, mais c'est le cas pour d'autres lecteurs, il n'y appose jamais de commentaires) découvrira ici même les tenants et aboutissants de ce mythe confus.
Il y a en fait à La Tache trois personnages dont on perpétue le souvenir.
Le premier, celui qui a droit à tous les honneurs de la descendance ravie (il parait que le frère de mamie, prof d'histoire géo, soulait chaque année ses élèves du récit enjolivé de ce brillant ancêtre) c'est le fameux Delfaud dont je vous ai déjà longuement entretenues lors d'un précédent article. C'est lui qui a inspiré Albert (pompeusement, question de mode, renommé Albéric) Cahuet : mamie qui est née en 1923 se rappelle parfaitement la visite de Cahuet à son père. Elle était encore jeune (le roman date de 1937) et revoit l'arrivée de ce monsieur dans le vestibule de la Tache. Il était venu parler avec Papabo de cet ancêtre casse-cou dont il s'est inspiré pour créer le héros de son roman Pontcarral (que j'avoue ne pas avoir lu). On lui montra le portrait de l'ancêtre intrépide, son épée, son gobelet, sa boussole qui fit bien du chemin de l'Espagne à Moscou. On lui fit lire les récits qu'il avait laissé sous forme d'un journal intime de ses différentes campagnes, dont le camp de Boulogne, on lui fit admirer les petites cuillères d'argent remises en même temps que la légion d'honneur sur le champ de bataille à Smolensk par l'empereur le 2 septembre 1812 et chiffrée N à LD surmonté d'une couronne impériale. Et d'après Simone on lui cita l'aventure qui ouvre le livre de Cahuet : lors de la récolte périgourdine de juillet 1816, Pontcarral qui était plus ou moins à la tête des insurgés, fut poursuivi à Sarlat par une horde de gendarmes royaux et traqué, après s'être échappé d'une grange que la maréchaussée venait d'enfumer, il se réfugia chez Fournier Sarlovèze, ancien général d'Empire dont il fut l'ami mais que sa récente inféodation au pouvoir royal lui désignait comme traître et farouche adversaire. Cahuet résoud la fuite du héros par une ellipse, mais Simone raconte que l'homme ayant enfourché un cheval il fonça sur les gendarmes, força leur triple barrage, puis les entraînant à sa suite il franchit hardiment la Dordogne d'un saut de sa bête obéissante. Parvenu sur l'autre rive il se retourna et cria à ses poursuivants héberlués "Ecoute s'il pleut"*. Si l'on pense que Delfaud est mort d'une fièvre maligne en octobre 1817, il semble étonnant qu'il ait été aussi fringuant un an auparavant. Mais connaissant sa bravoure incontestable, il est possible qu'il ait réussi à prendre la fuite et qu'on ait enjolivé cette échappée de quelques mêmes de rivière ! J'ai cherché dans Cahuet sans trouver trace de cette issue, ce qui semble finalement un bon point pour l'histoire ! A moins que l'épisode ne soit tiré du film de 42** !

En fait, il me semble possible, mais il s'agit là d'une interpréation personnelle, que Cahuet ait créé ce personnage de Pontcarral à partir des témoignages recueillis sur les hauts faits de hussards périgourdins des environs de Sarlat. Il cite dans ses premières pages les noms "des têtes brûlées de l'ancienne garde, les Vialem, les Pasquet, les Delfaud, les Mansac" et cela pourrait être les noms de ceux dont il aurait, comme Papabo, visité les descendants. Autour de ce personnage mythique, il a construit une histoire d'amour et de haine qui ne doit rien bien sûr à ces braves hommes qui, comme Delfaud, ont passé la fin d'une vie souvent brève à souffrir des séquelles des blessures écopées sur tous ces champs de bataille.

On dit que Papabo, lorsqu'il reçut de l'auteur un exemplaire du roman en hommage et en remerciement, entra dans une vive colère car ce dernier avait fait du héros d'Empire le fils d'un enfant trouvé. Il ne s'arrêta pas au grade sompteux de général accordé au petit capitaine Delfaud, et ne retint de cet entretien qu'amertume comme si Pontcarral avait vraiment été Delfaud ! Au point que Simone désigne son portrait, sans aucun doute évoqué dans l'introduction, par le nom du héros romancé. "Son visage ne m'était pas inconnu, car le portrait de sa jeunesse, son grand portrait du temps de l'Empire, est conservé dans une maison qui m'est familière. C'est une assez médiocre peinture, pompeuse et conventionnelle, avec les bariolages de l'épopée. Pourtant j'ai retrouvé les traits essentiels de l'homme, de l'homme sans uniforme, dans ce soldat décoratif".
Je vous avais annoncé 3 héros. Je vous rassure, je vais être brève pour les 2 autres, dont l'histoire familiale a gardé moins de traces.

Le second, c'est Labaurie Delfaud, le fils du premier qui eut pour grand mérite d'acheter, sans doute avec les indemnités versées par le Second Empire à la veuve du hussard fidèle, la maison de la Tache. On ne conserve de lui qu'un vilain portrait en vieillard barbu dans le salon, relégué dans un coin car il a moins de prestance que son père !

Quant au troisième, officier d'Empire lui aussi, il fit entre autres la campagne de Russie dont il ramena un carnet de mémoires conservé par le frère de Simone, comme tous les documents concernant ces militaires. C'était un Monzie, originaire de Cadouin et ancêtre donc de Papabo par son père. Je n'ai pas eu son prénom mais c'était sans doute Jean, dont on trouve déjà trace dans un rôle de la taille de la paroisse de Cadouin en 1780. Père ou fils, peu importe, tous avaient le même prénom.
L'anecdote par laquelle ce dernier, militaire lui aussi, s'est illustré, est toute civile. Le jour du mariage de son fils avec une certaine Mademoiselle de Ronsard (excusez du peu), il voulut montrer aux invités admiratifs ses talents de cavalier. Eperonnant son cheval avec fougue, il provoqua le renversement du tilbury dans lequel se trouvaient les futurs époux. La mariée eut une jambe cassée, et notre vaniteux fut tué dans l'accident.


* "Ecoute s'il pleut" est, selon les uns une expression ironique destinée à se moquer des meuniers qui, quand le ruisseau du moulin était à sec l'été, éveillaient leur fils en lui disant "Ecoute s'il pleut".
Pour le dictionnaire de l'académie française, "un écoute s'il pleut se dit d'un homme faible, qui se laisse arrêter par les moindres obstacles. Il se dit aussi d'une promesse illusoire, d'une mauvaise défaite, d'une espérance très incertaine"

** En ce qui concerne le film je vous livre cet article trouvé sur le site de la Société Historique et Archéologique du Périgord : "Le Dr G. Delluc s’est intéressé au film Pontcarral, colonel d’Empire (fig. 3). « D’après le roman d’Albéric Cahuet '1877-1942), il fut tourné en 1941-1942, en Sarladais, alors en zone non occupée. Il sortit le 11 décembre 1942, juste après l’occupation de la zone dite libre. Chacun connaît la trame de l’histoire. Il fut accueilli comme une allusion implicite à l’esprit de résistance, ainsi que l’avait voulu l’auteur, Jean Delannoy : Pontcarral (Pierre Blanchar) ne s’était pas courbé devant le nouveau pouvoir. Le visa allemand ne fut donné qu’après que fut coupée la phrase : « Sous un tel régime, c’est un honneur que d’être condamné ». Aujourd’hui, dans la version diffusée en VHS (édition René Château), on voit encore Louis-Philippe tendre la main à Pontcarral (fig. 4), en disant : « Il est temps de sortir la France de ces humiliations, de rendre à son drapeau – notre drapeau – un peu de gloire. Je compte sur vous, colonel Pontcarral ». « À vos ordres, Sire ». Le défilé final, trompettes et étendards, était fait pour redonner du courage aux spectateurs. Ils applaudissaient à chaque séance. À vrai dire,l’armée s’en allait conquérir l’Algérie… Dans le roman, écrit à Fondaumier (Cénac-et-Saint-Julien), Pontcarral dit à son major, à propos de la « guerre algérienne » : « Je doute fort que ni vous ni moi n’en puissions voir la fin». (Cahuet (A.), Pontcarral, Paris, éd. Fasquelle, 1937).
Le film Pontcarral, colonel d’Empire a particulièrement marqué deux personnes : P. Blanchar et P. Dejussieu.
  • Pierre Blanchar (1896-1963), à la Libération, oubliant qu’il avait tourné et mis en scène plusieurs films durant la guerre, jouera, selon Jean Tulard, les épurateurs à l’égard de ses confrères, invoquant son rôle de Pontcarral comme acte de résistance. Il sera en 1946 le viril lieutenant Pierre Marienne (dit capitaine Feranne) du Bataillon du ciel de A. Estway d’après J. Kessel. Cette interprétation du film Pontcarral comme une dénonciation du régime de Vichysemble « un peu abusive » (Tulard (J.), Dictionnaire du cinéma. Les acteurs et Les réalisateurs, Paris, éd. Robert Laffont, 1999) et sa légende de « film résistant » apparaît « pas tout à fait fausse » mais « tout de même abusive » (Siclier (J.), La France de Pétain et son cinéma, éd. H. Veyrier, 1990). »
  • Le chef de bataillon Pierre Dejussieu (1898-1984), de Combat, après l’arrestation du général Delestraint (quelques jours avant celle de Jean Moulin), est nommé au mois de juillet 1943, chef de l’AS pour la Zone Sud. Il prend alors le pseudonyme de Pontcarral. Général à la fin de l’année 1943, il sera, en janvier 1944, chef d’état-major national des FFI. Arrêté le 2 mai 1944 à Paris par la Gestapo, il sera déporté Nacht und Nebel à Buchenwald, puis à Dora- Mittelbau. Il organise alors le sabotage à l’intérieur du camp où les détenus travaillent à la fabrication des V2. Devenu Dejussieu-Pontcarral, il termine sa carrière en 1958 comme général de corps d’armée, adjoint au commandant des Forces Terrestres Centre-Europe de l’OTAN à Fontainebleau. »

5 commentaires:

  1. J'ai lu avec attention ton article... c'est bien d'en savoir un peu plus sur la famille ;)
    Ceci dit, merci bien du lien vers l'article sur François Delfaud... il est illustré d'une jolie photo de la tâche que je me ferai une joie de montrer à Stephane : il est en ce moment dans une période de fascination pour les châteaux et les manoirs, et aurait bien envie de son propre château (en Espagne) ! Voilà donc l'occasion de l'épater un peu :p

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  2. Bonjour, est-ce qu'on peut obtenir une photo entière du portrait du capitaine François Delfaud?

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    1. Je vais chercher si j'ai cela dans mes archives... sinon je vous prendrai une photo du portrait la prochaine fois que j'irai dans cette maison de famille (au printemps prochain sans doute !!) envoyez moi un mail (mon adresse email est disponible dans la rubrique C KOI LE PETIT RE, cliquez sur Michelaise, tout à fait en bas de la page. A bientôt par mail !!!

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  3. Bonjour,
    En 1944, le groupe Fragny, avait à sa tête le capitaine Pontcarral de son vrai nom André Cambounet..

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    1. Merci pour cette info ... émouvante ! le choix du nom "de guerre" d'André Cambounet montrait qu'il avait du panache !!!

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