CANARD A L'ORANGE

Et non ! Je ne me suis pas reconvertie dans le boulevard, et il me faut avouer n'avoir jamais vu la pièce culte des années 70 dont Jean Poiret fut le célèbre initiateur et reprise par Michel Roux dans les années 90. Je ne suis pas très portée sur ce type de comédie !

Je ne me moque pas de vous, c'est l'authentique illustration de mon Curnonsky, édition 1953 chez Larousse

Présentation Hôtel Lutétia !! Chef : M.Sylvain

Je n'ai pas plus coiffé ma toque de chef pour réaliser ce délice gastronomique, un tantinet démodé et qui faisait flores dans les bons livres de cuisine de ma jeunesse. D'ailleurs, eussé-je* voulu tenter cette recette, le libellé de mon Curnonsky favori m'en aurait immédiatement dissuadée : imaginez un peu. "Préparez les canetons nantais (déjà il me fallait l'origine contrôlée). Avec les abats, faire un fond avec mirepoix (bon, j'adore ce mot mais déjà, je sèche). Flamber au cognac et déglacer au vin blanc (hips). Préparer la farce avec le veau, le foie de veau, le foie du canard, la panne de porc, du cognac, du curaçao et une pointe de muscade (oups, dans le genre "farce maigre", on va se régaler !). Farcir le canard avec la farce et les quartiers d'orange (là, je suis !!). Finir le fond des abats (pardon monsieur Curnonsky ?), qui aura été passé avec une demie-glace au curaçao (ouh là là, c'est quoi ça ??) et les zestes d'orange coupés en julienne fine (youpi, je sais ce qu'est une julienne !!). Décorer le plat avec les quartiers d'orange (facile, je sais faire !). Flamber le canard à la fine champagne (chic, je connais, mais non, sans bulle, c'est du Cognac ça...). Servir la sauce à part et sur le canard (mais oui, mais c'est bien sûr)".

D'abord, vous remarquerez que les recettes de ce gastronome ne sont pas à l'impératif 2ème personne du pluriel, faites, parez, coupez, flambez, mais bien à l'infinitif. Tout de suite, ça vous met dans l'ambiance, ce n'est pas à vous que ce discours s'adresse, mais c'est un énoncé théorique de taches qui vous dépassent un peu ! Par ailleurs, on se demande, quand on lit la recette, ce qu'on fait du bouquet garni, des carottes ou des oignons. Secret défense oblige ! Mais enfin, si vous avez envie de faire de la grande cuisine "façon chef" (c'est ainsi qu'il sous-titre son canard à l'orange), je vous indique ci-dessous les ingrédients**. Après tout peut-être avez-vous quelque gourmet à l'ancienne mode dans votre entourage ! Je vous garantis l'authenticité de mes sources. Et avouez que ce livre se lit comme un roman.

Et quoi alors ??? Just a joke... le canard à l'orange façon Michelaise, qui n'a plus aucun rapport avec la recette d'origine, mais qui se prépare en moins d'une minute, plus le temps de cuisson de votre magret. Il m'arrive parfois de fréquenter un lieu, que d'aucuns pourraient nommer de perdition, mais qui fait bien l'affaire de mon porte-monnaie quand j'ai envie d'y acheter, à bas prix, certains ustensiles et autres gadgets qu'on y trouve à des tarifs défiant toute concurrence. J'ai nommé Lidl, ce champion de la théorie marginaliste qui propose aux entreprises en sous-capacité de production de fabriquer rien que pour lui, des objets supplémentaires qu'il lui paie à un prix à peine supérieur aux charges variables qu'ils engendrent. Et ainsi, notre discounter avisé propose, à des prix iminaginables, des lots limités et sans SAV (sauf échange standard en cas de panne à la mise en route), mais qui, finalement, constituent pour les entreprises qui acceptent ce deal, une façon confortable de rentabiliser un outil de production parfois sous-employé. Il n'est pas question de discuter ici du bien-fondé et des dangers de telles pratiques, qui, du rendement d'échelle au yield management (mais si, vous connaissez, vous savez les places non vendues écoulées à bas prix par les avionneurs) donne lieu à bien des déclinaisons.

Donc, j'étais chez Lidl quand j'ai découvert une gamme de pâtes, fabriquées en Italie et qui ont de parfums réellement inhabituels. On y trouve des "taglioline al tartufo" qui, bien que contenant 1% de truffe d'été (tuber aestivum) ont un goût un peu discret à mon sens. J'ai dû y rajouter quelques truffes noires, bien de chez nous, afin de profiter à plein du fumet de truffe. Les "taglioline al lemone", avec citron et curcuma pour accentuer leur teinte jaune, accompagnent parfaitement le poisson. Celles "al Barolo" (c'est un vin rouge du Piémont) sont d'un joli rouge qui déteint un peu dans l'eau du cuisson, plus imputable à la betterave rouge qu'au vin DOCG qui les parfume. Elles ont un délicat fumet de cannelle, clou de girofle et noix de muscade, qui en fait un accompagnement parfait des viandes rouges. Et les dernières, "all'arancia", colorées au paprika pour offrir un orange incontestable, sont un vrai délice avec du magret de canard ! Lequel, arrosé d'une sauce aux morilles trouvée chez le même fournisseur, et qui, ma foi, se défend bien côté saveur, vous permet de flamber sans problème auprès de n'importe quel amateur de cuisine raffinée. Une minute de préparation qui m'a valu qu'Alter me sorte un petit Pessac Léognan de derrière les fagots, et ça je vous assure, c'est un signe qui ne trompe pas. Rond en bouche, il est de 2005, aux arômes de truffe et de fruit d'automne, un petit vin qui valait bien que, comme dit ma belle-mère, je me "mette en cuisine" !!

* là, j'ai eu carrément un doute... eussai-je ou eussé-je ? J'ai donc consulté google qui m'a renvoyée vers "la nouvelle grammaire française sur un plan très méthodique" (excusez du peu !!) de François-Joseph-Michel Noël et Charles Pierre Chapsal. Je me suis dit qu'avec des noms pareils, ils devaient faire référence !! Et j'ai trouvé page 46, qu'il n'est jamais permis d'écrire eussai-je... à bon entendeur, salut !

** Préparation 1h30 Cuisson 50 minutes : 2 canetons nantais - 200 g de veau maigre - 200 g de foie de veau - les foies des canetons - 300 g de panne de porc - 5 cl de curaçao - sel - poivre - un demi-litre de demie-glace - bouquet garni - 2 carottes - 2 oignons - un demi-litre de vin blanc - 1 dl de fine champagne - 8 oranges -