jeudi 3 février 2011

UNE INITIATIVE INTERESSANTE


Nous n'étions pas à Bordeaux pour cela, mais un flyer nous a conduits à aller voir, au Musée des Beaux Arts, l' "oeuvre invitée". C'est le musée du Mont de Piété de Bergues qui a prêté "gracieusement" au musée de Bordeaux, une toile de belles dimensions de Georges de La Tour, particulièrement bienvenue dans la salle des caravagesques des collections bordelaises.
Gracieusement ? Parce que d'habitude on paye pour les prêts de peintures ? Naïve ou candide Michelaise ? en tout cas, bien que prof de gestion, un peu rêveuse et pas vraiment au fait des moeurs commerciales des musées de nos jours. J'ai un peu cherché et j'ai trouvé par exemple que le Centre Pompidout prévoyait, pour un prêt d'oeuvre, une liste impressionnante de frais :
  • restauration, encadrement, matériel technique ou consommable,
  • facturation de copies de films, vidéo,
  • emballage, assurance et transport,
  • convoiement,
  • frais administratifs de mise à disposition.
 J'imagine que sur ce dernier chapitre, les montants sont laissés à la libre appréciation de tous et on peut imaginer que cela se négocie âprement. J'ai un peu pioché le sujet et j'ai trouvé cet extrait de l'Oeil, qui a mieux éclairé ma lanterne :
"Demain, l’organisation d’une exposition temporaire pourrait devenir plus aléatoire encore. Les prêts d’un musée à un autre, généralement gratuits, le resteront-ils alors que la concurrence s’exacerbe entre les institutions ? Les négociations de prêts d’œuvres, déjà délicates entre musées occidentaux pourtant coutumiers du fait, s’avèrent de plus en plus complexes avec certains pays émergents qui négocient des contreparties : formations de personnels, restaurations d’œuvres, voire compensations financières comme l’a fait l’Égypte pour l’exposition « Toutankhamon » à Londres, exigeant que 75 % du prix des billets et des recettes du magasin de souvenirs lui soient reversés afin de préserver ces trésors et de construire un nouveau musée au Caire.

Les œuvres risquent-t-elles de devenir une denrée rare du fait de cette compétition ? D’autant que la fréquentation étant devenue l’audimat des musées, ces expositions temporaires observent souvent une même saisonnalité, répondent aux mêmes phénomènes de mode pour faire recette. Ainsi, à l’occasion de la commémoration de la mort de Gauguin en 2003, de nombreux musées souhaitant faire une large rétrospective sur cet artiste, aucun de ces candidats n’a voulu prêter ses œuvres ! Pierre Rosenberg, ancien président-directeur du Louvre, dénonçait déjà en 2004, dans un éditorial rédigé pour le magazine de la Fédération française des sociétés d’amis de musées, « l’événement à tout prix au détriment des collections permanentes, la course à l’événement au détriment de la recherche et du travail scientifique... les expositions tuent les musées ».

Et voilà bien le sujet que nous évoquons à longueur de billet : le prix de la démocratisation de l'art serait ces affluences envahissantes lors des "grands événements" médiatiques, incontournables et que donc, tous vont voir, même si Monet ne leur chaud guère. D'où ces presses fâcheuses dans des salles parfois trop étroites, ces queues à n'en plus finir pour accéder au saint des saints, ces bousculades importunes devant des toiles qui mériteraient la contemplation, des commentaires déplacés qui vous brouillent l'entendement, car ils sont proclamés avec ostentation par ceux qui pensent avoir enfin compris le pourquoi de toute cette agitation.
Pour avoir parcouru les salles désertes du musée de Bordeaux qui renferme des merveilles qu'on a toujours du mal à apercevoir entre deux dos et trois têtes agitées lorsqu'elles sont prêtées à des expositions à grand spectacles, je partage l'avis de monsieur Rosenberg. Malheureusement, comme on ne sait plus que faire dans "l'événementiel", qui se négocie fort cher car les organisateurs savent y faire pour "vendre" leur service, les expositions phares, relayées par la presse et les médias, saturent à 913 064 visiteurs (chiffre fièrement annoncé par le Grand Palais pour Monet, comme un record remarquable), et les musées qui présentent, même partiellement, mais dans le calme, les mêmes oeuvres, sont vides.

Je ne saurais donc trop saluer l'initiative de ce prêt, qui permet à un musée de province de "créer l'événement" à peu de frais, en proposant gratuitement aux visiteurs une toile mise en rapport avec les autres peintures du lieu. Ici, le vielleur au chien de De La Tour, exposé jusqu'au 28 mars 2011, est une des 5 peintures sur le thème de ces vieux musiciens aveugles que fit l'artiste. Madrid, Remiremont, Nantes et Bruxelles abritent les autres. Celle de Bergues est sobre et si l'on admire un chien peu courant dans l'oeuvre du maître lorrain, ce dernier y manie approche naturaliste et intensité psychologique avec la verve qu'on aime chez lui. C'est aussi est un excellent prétexte à revoir en détail le merveilleux joueur de luth de Ter Bruggen, le toujours surprenant Saint Sébastien soigné par Sainte Irène de Trophime Bigot, les disputes de Giordano, pour s'en tenir aux caravagesques. Nos musées de province sont riches et il faut savoir l'apprécier. Sereinement !

8 commentaires:

  1. Michelaise profite donc du calme et de la sérénité de nos petits musées de province, qui proposent des oeuvres magnifiques, comme je t'envie...

    Les grosses artilleries dont l'unique raison est de faire de la recette, deviennent tellement pénibles, pompeuses et snobs, que je les fuis...

    Vive les petits prêts gratuits !!

    Belle soirée.

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  2. Oh que oui Michelaise nos musées de province sont vides.
    Pour suivre le gentilhomme dans ses déplacements à travers la France je peux confirmer ton constat.
    De plus les musées de province n'ont rien à envier à ceux de Paris ils sont tout aussi "modernes"
    Je me souviens d'un séjour à Dijon où j'ai pu à loisir regarder encore et encore des Delacroix de sa période orientaliste.
    A Nancy l'an passé j'avais le sentiment d'une visite privée et j'y ai vu des merveilles ,je me souviens être restée un temps interminable devant ce tableau de Friant

    http://www.nancy-guide.net/photo-voir-musee-des-Beaux-Arts-Emile-Friant-la-Toussaint-103324.jpg.php

    Tu te souviens de ce que j'avais dit concernant l'exposition France 1500:on n'a plus qu'à prendre notre bâton de pèlerin!

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  3. Intéressant ton billet, toujours si riche en documentation.

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  4. Mais oui, nous avons de belles choses aussi en province, ton billet nous le confirme joliment aujourd'hui !
    A Caen aussi, j'irai voir bientôt une expo, je vous en reparlerai bientôt...
    Bon week-end Michelaise !

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  5. Et oui, Danielle, à chaque fois on se jure qu'on ne s'y laissera plus piéger, et vlan !! l'attrait d'un thème particulièrement passionnant, l'envie de se faire une petite virée parisienne, et nous voilà repartis ! le programme d'avril est déjà enooooooooooorme ! oubliant toutes nos bonnes résolutions...
    Ce tableau de Friant est en effet particulièrement saisissant et évocateur, une Toussaint qui raconte beaucoup de choses... connais-tu Aloïs un des morceaux d'anthologie du musée des beaux-arts de Bordeaux, Rolla de Gervex ?? Oh certes, juste à l'opposé de Toussaint, mais tellement plein de sens aussi !

    https://sites.google.com/site/artistgalleryg/home/gervex-henri/rolla

    Merci Alba de ta lecture toujours aussi attnetive !
    Enitram, nous attendons les merveilles de Caen, car Caen Bordeaux, même combat !! Surprise surprise !!

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  6. Bonsoir Michelaise,

    Un billet fort intéressant, je me souviendrai des Propos de Pierre Rosenberg, c'est juste mais il faut ajouter que ces grandes expositions et rétrospective permettent également de voir des œuvres venues de musées lointains et de collections privées et cela est important aussi, même si je suis d'accord avec tout se que vous avez écrit.

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  7. J'avoue Miss Lemon que, lorsque je visite ces grandes expositions je ne peux m'empêcher à chaque fois, de m'émerveiller de la provenance des tableaux exposés : de tous les coins du monde en effet, de musées et de collections privées. La mobilisation et le travail que cela représente m'impressionnent toujours. Les volontés de rapprochement d'oeuvres dispersées, de triptiques éclatés, de versions éloignées, tout cela est passionnant. Bien sûr que ces expos sont passionnantes, et comme elles coûtent des fortunes en préparation,organisation et logistique, faut bien trouver l'argent quelque part !! D'où la nécessité de créer l'événement. Mais bon, on a aussi besoin de calme pour apprécier les oeuvres, et la cohue brise le charme. Quadrature du cercle, comme souvent. Tiens j'aurais dû appeler mon blog comme cela !

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  8. Je connais bien le sujet, donc voici quelques éléments qui enrichiront le débat. Les musées de France prêtent tous sans exception leurs oeuvres gracieusement. Le prêt d'un tableau du Louvre n'est jamais facturé à l'emprunteur, si l'emprunteur est le musée des Beaux-Arts d'Orléans. Ce qui est facturé en revanche - et c'est normal - ce sont toutes les choses annexes, comme le transport de l'oeuvre, l'encadrement, l'accrochage, l'équipement des vitrines, la mise en place d'un système de vidéo-surveillance, etc., toutes choses qui ne doivent bien sûr pas être à charge du prêteur, sinon celui-ci se trouverait littéralement débordé. La liste des frais que tu évoques (restauration, encadrement, matériel technique ou consommable, facturation de copies de films, vidéo,emballage, assurance et transport,convoiement, frais administratifs de mise à disposition), le musée de Bordeaux les a payés. L'oeuvre n'a pas voyagé par l'opération du saint Esprit! Le directeur du musée du mont de Piété de Bergues a dû prendre toutes les précautions nécessaires pour le transport du tableau de La Tour et faire appel à un transporteur agréé qui a adressé la facture au musée de Bordeaux. De même, si le musée de Bordeaux a fait un catalogue, tu peux être certaine que les frais de reproduction ont été à charge de l'emprunteur. Et pour superviser l'accrochage, il a bien fallu un conservateur du musée qui se déplace pour être attentif au bon déroulement de l'opération. Tout cela est indispensable et toute cela coûte de l'argent! Mais il faut préciser que tout cela ne rapporte rien au musée qui prête, mis à part du prestige. S'il n'y avait pas toutes ces procédures en place, le pauvre musée du Mont-de-Piété recevrait des demandes du toute part, tous les musées de France et de Navarre ne demanderaient qu'une chose : l'emprunter! Imagine maintenant que tu es directrice du Louvre ou d'Orsay. Quel est ton quotidien? Recevoir des demandes de prêt. Tokyo, Dallas, Munich, Dresde, Madrid, Rome, Indianapolis, Boston, Budapest, Londres, etc. organisent tous les jours des expositions, des rétrospectives, ils demandent donc sans cesse des prêts. Il est impossible de satisfaire toutes les demandes. C'est pour cela que chaque directeur de musée met en place une commission de prêts où l'on statue sur les demandes en cours. On ne va pas laisser partir un Manet à Dallas qui été prêté quelques mois plus tôt à Tokyo. Impensable! On ne va pas laisser non plus filer un Raphaël sans sans être assuré que toutes les garanties de sécurité sont respectées. Et si tel musée veut un dessin conservé dans un carton, ce n'est quand même pas au musée qui fournit le dessin de payer l'encadrement du dessin. Il va donc faire le nécessaire au sein de ses ateliers de restauration et une fois que l'encadrement aura été réalisé, ce sera l'emprunteur qui payera la prestation. Etc, etc.
    Maintenant, la mise en spectacle des expositions est un autre problème. Je suis le premier à déplorer tout ce qui se passe autour de Monet. Voilà un peintre dont les tableaux doivent se voir de près et de loin. Or, vu l'affluence, cela était mission impossible. Voilà pourquoi je n'y suis pas allé. Attendons qu'ils reviennent à Orsay et au Louvre, on pourra les revoir en toute quiétude. Au Louvre notamment, ils sont exposés dans une petite salle confidentielle où il n'y a jamais personne. Pour les autres tableaux conservés à l'étranger, prenons le parti de voyager, c'est tellement plus agréable qu'aller s'entasser dans une expo comme on s'entasse dans le métro à six heures du soir. Tout ça pour dire que tu as eu plus de chance avec cette exposition sur les caravagesques que nous autres Parisiens avec Monet.

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