vendredi 26 août 2011

JEANNE ETAIT AU PAIN SEC !!

Pas question de recopier ici la quatrième de couverture qui présente « Jeanne » comme le livre secret de la grande helléniste disparue en décembre dernier à l’âge de 97 ans et que reproduisent  à l’envi tous les sites qui le présentent. Pas question non plus de me livrer à une critique littéraire, c’est forcément bien écrit mais cela m’a laissée sur ma faim. Non que les rapports mère-fille et tout ce qu’ils ont de complexe y soient mal évoqués, mais j’ai été saisie par la relative naïveté en la matière de cette femme dont l’esprit était pourtant fort acéré. Jacqueline de Romilly rend, avec juste mesure mais finalement presque condescendance, hommage à sa mère. Elle tente avec honnêteté et réalisme de lui redonner son humanité, son enveloppe de femme et d’être humain riche et complexe, mais on sent que cela lui demande un effort important et cela m’étonne. Car quand elle a écrit ce livre elle avait elle-même plus de 60 ans et il me semble qu’elle avait encore à progresser dans cette approche amour-exaspération qui caractérisait comme souvent leurs rapports. Certes elle fait un vrai travail de mise en perspective pour rendre justice à cette mère qui, selon le schéma classique n’avait finalement à ses yeux qu’un défaut, d’être justement sa mère, mais le « travail » psychologique n’est pas abouti et donne l’impression d’être perfectible .

J’avoue que ce problème des rapports mère-fille ne cesse de me turlupiner et que j’aurais aimé que la réflexion de notre académicienne aille plus loin. On connait l’histoire de cette relation complexe qui impose à la fille pour devenir une femme bien dans sa peau de ne pas rester la fille de sa mère et qui passe à l’adolescence par un conflit rangé, est parfois difficile à surmonter. Entre les mamans qui souffrent du syndrome de la jeunesse éternelle et celles qui veulent rester d’éternelles copines, l’époque actuelle a revu et corrigé les excès de celles qui n’étaient que critiques ou phagocytage de bon aloi au motif de donner des conseils et de régir l’avenir de leur fille. En résolvant au passage le problème d’une inévitable jalousie engendrée par le vieillissement. Autrefois certaines mères ne renonçaient jamais à garder une place dominante auprès de leur fille, conseillant, jugeant, critiquant, sans comprendre qu'elles devaient lâcher prise. Le sentiment de faiblesse qu’elles entretenaient chez leur fille, afin que celle-ci continue à s'appuyer sur elles, empêchait souvent celle-ci de réussir sa vie amoureuse ou professionnelle. Avec le jeunisme et l’allongement de la vie affective des mamans actuelles, la donne a changé.


Mais que la mère soit confidente, copine, fusionnelle ou possessive, les tensions sont inévitables puisque la fille ne va s'approprier sa féminité et accéder à son propre corps, celui qui éveille le désir d'un homme qu’en se détachant de ce modèle qu’elle redoute et aspire à dépasser. Etant à la fois fille d’une mère trop tôt disparue et avec laquelle j’avais le sentiment d’être en confiance, et mère de filles avec lesquelles j’ai rêvé une complicité qu’elles ont très sagement fui, je trouve cette relation éminemment difficile à comprendre et l’observation des amies de mon âge ne m’apporte guère d’éclaircissement.
Certes j’ai pris conscience, après le départ de maman, des maladresses qui avaient été les siennes à mon égard et des blessures, souvent insurmontables, qu’elle m’avait infligée. Mais j'avais le sentiment d'avoir été très proche d'elle et d'avoir eu avec elle une vraie complicité. J'ai essayé de comprendre ses ardeurs et ses angoisses de femme, même si cette approche est restée superficielle l'ayant perdue trop tôt pour en parler avec elle. Par ailleurs, je n’ai pas voulu reproduire les mêmes erreurs avec mes filles, même si elles n'en ont pas conscience que cela m’a demandé un réel effort ! La jeune femme a besoin de ne plus être la petite fille de maman pour devenir femme à son tour et si cette étape peut être pénible à comprendre par la manan, elle est primordiale pour la fille. Ce qui est cruel dans la relation mère-fille, voire parents-enfants c’est la suite. Après ce détachement, on a du mal à jamais retrouver un regard neutre sur sa mère et ce qu’on apprécie chez n’importe qui d’autre comme qualité ou défaut sympathique reste travers exaspérant quand il s’agit de sa mère.


Je suis stupéfaite de la partialité dont font preuve les enfants à l’égard de leurs parents, suspectés du simple fait qu’ils ont ce rôle, d’être des êtres humains d’une extraction particulière. Qui d’entre nous peut affirmer qu’il a vraiment compris que ses parents avaient les mêmes rêves, les mêmes enthousiasmes, les mêmes aspirations que ceux dont nous sommes si fier ? Comme Jacqueline de Romilly on peut, au mieux, s’astreindre à refaire le chemin, mais cela nous donne, comme cela transparait nettement dans son livre, beaucoup de fil à retordre. De là vient sans doute ma déception à la lecture de ce livre car, à peine a-t-elle esquissé cet effort d’humanisation de sa mère que soudain l’agacement revient et elle a bien du mal à ne pas tempérer cette « reconnaissance ». Comme Madame de Romilly est quelqu’un de foncièrement intelligent, elle observe que des étrangers, des ami(e)s cher(e)s ont su, en la matière, mieux apprécier, mieux respecter sa mère qu’elle-même.

Et le phénomène s’aggrave quand le parent vieillit : nous avons une infinie difficulté à admettre que nos parents ont aimé, désiré, fantasmé, qu’ils ont ressenti les mêmes envols que ceux qui nous font vivre et sont notre fierté. C’est révoltant et rien n’y fait vraiment : vous comprenez merveilleusement une vieille dame de votre entourage quand elle vous parle avec son cœur, voire vous la trouvez admirable d’être aussi vivante, et vous jugez votre mère indécente de faire de même. Et on n’y peut rien. Un simple exemple : une amie de longue date vous recommande, avant que vous preniez la route, la prudence, vous la trouvez attentionnée... si votre maman fait de même, vous la trouvez inutilement inquiète, voire ch... !! Mais en tant que future « vieille dame », je suis révoltée de me dire que l’âge et ses infirmités me réduiront à ce rang de quidam irritant pour mes enfants et que mes angoisses ne seront pour elles que manies lassantes et travers horripilants. J’aurais été curieuse d’avoir, de la part de Madame de Romilly une postface à ce livre, quelques 20 ou 30 ans plus tard, quand elle-même s’est trouvé dans le rôle, ô combien difficile, de la nonagénaire affaiblie.

15 commentaires:

  1. Dis moi c'est ma mère que tu décris là?
    Tu peux écrire un livre sur le sujet j'y ai tout retrouvé.J'aurais juste changé quelques verbes "mais que la mère souhaite être confidente copine,fusionnelle,qu'elle soit possessive..."
    Bref pas facile que le" métier" de maman.
    Comment faire pour bien faire?
    Je pense qu'il y a le rapport mère-filles mais aussi le rapport fille-mère qui entre en ligne de compte,tout dépend de la personnalité de chacune.
    Lorsque l'on parle de couper le cordon à mon avis cela fonctionne dans les deux sens,certaines filles ont besoin de rapports particuliers avec leur mère que leur mère soit une copine,une confidente.
    Je n'ai jamais pu envisager cet ordre des choses peut-être aussi parce que je suis très Vielle France et que pour moi les parents représentent une certaine autorité (chose que je n'envisage pas avec mes garçons!!),donc on ne peut pas copiner avec quelqu'un qui a une "autorité" sur vous
    Un sujet difficile dont on peut parler pendant des années

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  2. Oui un sujet difficile et j'avoue que la lecture de Jeanne m'a laissée insatisfaite : cela m'a fait tout bizarre de voir une "grande dame" comme Jacqueline de Romilly être si manifestement exaspérée par sa vieille maman !! Je voulais surtout m'étonner de ce rapport très particluier qui fait qu'on est souvent beaucoup plus à l'aise, nettement plus décontractée ou indulgente pour des étrangères que pour sa maman (ou pour sa fille d'ailleurs) comme si les liens du sang entrainaient une trop haute exigence qu'on ne sait pas maitriser.

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  3. Comme ton billet est émouvant, car il ne donne ni solution ni théorie, qui forcément seraient mauvaises, il interroge, il permet de faire passer les doutes et les agacements, et ça fait du bien. Nous sommes toutes un peu là et là et encore là...

    Maintenant que je suis loin des questions d"éducation, puisque mes fils sont vraiment grands et parent depuis longtemps, je fais comme je peux pour garder nos relations aimantes et chaleureuses. Ni donneuse de leçons, ni soumise, simplement attentive et surtout vraie, sincère, je n'ai rien trouvé d'autre.

    C'est mon petit point de vue, mais je trouve qu'il ne me réussit pas trop mal, nous nous voyons avec mes garçons avec bonheur... Ils ont leur vie, j'ai la mienne, j'adore qu'ils m'apprennent comment ils font, pour vivre, aimer et espérer. Quand ils sont inquiets, je le suis... Je ne peux pas dominer ça.

    Voilà bien longtemps que je ne compte plus sur les prophètes pour me donner des conseils et pourtant ils sont nombreux à se prévaloir de cette capacité.

    Michelaise, je me souviens d'Albert Cohen qui humiliait sa mère autant qu'il le pouvait et qui des années après sa mort l'a honorée d'un livre et de regrets... Ça m'avait mise en fureur, l'absence permet tous les pardons les plus poétiques, alors que la présence produit des agacements l'asymétrie est révoltante.

    Moi je peux dire que j'ai toujours souffert d'avoir une mère que je ne trouvais jamais assez aimante à mon gré... Comme les relations et perceptions familiales sont compliquées.

    J'ai fait comme j'ai pu avec mes fils, je vais voir les années aidant, comment je vais me sentir avec ça.

    Mais j'ai une énorme confiance et je vois déjà, l'affection gagner du terrain, c'est tout ce que je demande.

    Merci Michelaise , tu nous aides beaucoup à voir et réfléchir plus loin en étant si sincère, merci.

    Bises du soir.

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  4. JE suis VRAIMENT heureuse Danielle tu as PARFAITEMENT compris le sens de mon billet, et ton rapprochement avec Cohen est exactement dans le sens de ce qui a provoqué ma réflexion. Il faut un point de départ, ici c'était Jeanne et cet étonnement face à une attitude qui est la nôtre et qui est étrange. J'aime aussi ta façon de poser tes rapports à l'égard de tes enfants, et la façon très simple dont tu le dis ! Merci à toi de cette lecture attentive et indulgente.

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  5. La littérature ne manque pas autour des relations mère-fille et le sujet est inépuisable. J'avais été particulièrement frappée par "entre mère et fille : un ravage" de Marie-Magdeleine Lessena qui partait d'exemples célèbres pour appuyer ses théories (Mme de Sévigné, Camille Claudel etc ..), c'était assez terrible. Je compte lire "Jeanne" et ce n'est pas la première fois que je remarque que le niveau intellectuel élevé n'aide pas forcément dans le domaine affectif ...

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  6. Quelques phrases de Boris Cyrulnik...

    "On ne négocie pas avec le désir d'une mère."
    "Nous devrions réfléchir un peu plus à la manière dont nous avons peur aussi de nos enfants tout en vivant dans une culture qui prétend toujours les protéger."
    "Un enfant n'a jamais les parents dont il rêve. Seuls les enfants sans parents ont des parents de rêve."
    "La famille, ce havre de sécurité, est en même temps le lieu de la violence extrême."

    Bonne journée à toi !
    Norma

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  7. Tu mérites un grand bravo, Mic, pour ce billet fort intéressant, dense et de quelque façon crucial. Et moi je suis reconnaissante à Danielle, car mon expérience en tant que mère ressemble beaucoup à la sienne (sauf pour le fait que j'ai un seul fils), et donc si elle me le permet je voudrais souscrire de ma part ce qu'elle a écrit à ce sujet, et que je n'aurais pas été capable d'exprimer avec la meme clarté.

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  8. Merci Michelaise de ce billet.

    Ma technique est dans la ligne de celle de Danielle qui, je dois féliciter, a si bien rédigé son commentaire.

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  9. Bien sûr Siu, bienvenue,je suis ravie si vous pouvez vous retrouver avec moi... Nos expériences mises bout à bout peuvent nous éclairer, nous aider à réfléchir... Mieux.
    Chère Norma, je trouve que ce que dit Cyrulnik peut toujours se lire dans les deux sens:-))) deux chances donc de renvoyer l'ascenseur entre enfants et parents, parents et enfants...:-)))

    C'est vrai que la vie familiale peut être un havre de paix comme son contraire... Vive la paix !!!

    Travaillons à la garder :-))) moi j'y veille.

    Bises à toutes.

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  10. Pas facile d'être la fille de sa mère et la réciproque ? Je n'en sais rien ! Mais je connais la réponse de la mienne...
    J'essaie d'être une mère pour mes deux fils et cela depuis leur naissance...
    On reste toute notre vie les enfants de nos parents, quoiqu'on vive...

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  11. J'ai 5 fois une fille et une fois une mère ;-)
    J'ai aussi un fils, dit le chouchou par ses soeurs et un mari, leur père ce héros.
    Lorsque mes filles m'enquiquinent je leur répond que j'vais l'dire à ma mère ! A quoi elles rétorquent avec raison que ma mère s'en moque...
    Ma mère et moi fûmes assez tôt compagnons d'armes, le hasard fit que trop tôt aussi, il en fut ainsi avec mes filles (ainsi qu'avec le chouchou et le héros d'ailleurs). Le combat a ça de bien qu'il fait relever la tête et éloigne le regard du nombril, ça aide à couper le cordon.
    Tu ne parles pas du rôle du père dans la relation mère-fille, ça m'étonne, tant la place de la mère est aussi celle qu'impose l'homme présent ou pas. Différente d'un père à l'autre, d'une fille à l'autre, d'une étape à l'autre de la vie, d'un amour à l'autre.

    Je déteste les écrivains qui règlent leurs comptes avec leur mère. Je déteste qu'on règle ses comptes avec sa mère, je trouve ça infantile, ça m'énerve. Comme une mauvaise excuse.

    La mère ? Eternelle coupable n'est-ce-pas ?

    Mais écrit-elle sur une page blanche ?

    Ce n'est pas seulement en quittant sa mère qu'on grandit c'est en lui pardonnant ce qu'on prétend naïvement pouvoir faire mieux qu'elle, oubliant qu'on se trompera aussi ici ou ailleurs, ce pardon que la fille accorde si facilement à son père, hein les filles ;-).

    Ce n'est pas tout à fait ça d'ailleurs, je me trompe... Dans ce monde de culpabilisation permanente, qui renvoie volontiers les femmes en arrière, il ne faut pas pardonner, il faut rendre justice à sa mère, c'est peut-être ça qui permettrait d'aller de l'avant.

    Je vais me refaire un café tiens !

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  12. Lulu, tu as sur la question un regard de pro, pas de doute... tant et si bien que je rajouterais bien volontiers tes deux derniers paragraphes à mon billet... pas le café (je vais m'en faire un aussi tiens !!) les deux précédents : nickel chrome !

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  13. J'ai failli te répondre en écho par un billet, je te confie donc volontiers ces mots qui ont fait mouche ;-)
    Je souscris également aux riches commentaires qui précèdent, en particulier à cette sincérité salutaire, qui loin des donneurs de leçons, finit toujours par faire gagner la paix ;-)

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  14. J'avais repéré hier ce billet et j'y suis revenue aujourd'hui... c'est passionnant, ce que tub écris Michealise et ce que tes lectrices écrivent... que rajouter de plus , on pourrait effectivement parler des rapports mère-fille pendant des années sans trouver de solution miracle , chaque personne est unique, tant chez les mères que chez les filles et il ne faut pas oublier la longue lignée qui a précédé et contribué à nous façonner telles que nous sommes...Les rapports humains sont d'une complexité passionnante, mais le summum est bien dans les rapports mère-fille(s)... être attentive, attentionnée, mais pas trop, ne rien attendre et juste savourer les moments heureux, retenir les critiques, tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler...Il n'empêche que ta réflexion concernant la vieillesse et le désir que nous pourrions avoir de "profiter" de nos enfants tant que nous sommes fréquentables est très juste... malheureusement, l'âme humaine est ainsi faite que ce n'est qu'en vieillissant qu'elle prend conscience de la fugacité du temps et de l'importance de passer du temps avec nos parents, les jeunes ont toujours le temps, croient-ils !quant à ta réflexion sur ce que l'on supporte avec bienveillance d'étrangers et non de nos parents vieillissants, elle aussi est juste et lucide...Merci pour toutes ces pistes de réflexion!

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  15. Merci Catherine pour cette lecture attentive : tu as saisi toutes les pistes nées de cette réflexion, au plus juste de la complexité. Tu as raison surtout quand tu dis que les commentaires sont super : en fait c'est ce qui est merveilleux avec certains billets, les commentaires vont très loin et avec toujours beaucoup de sincérité et d'à propos. Rien que pour cela, c'est génial les blogs

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