dimanche 7 août 2011

RITA STROHL : LE REVE FOU DE LA GRANGE DE BIEVRES

Après le décès de son époux, Emile Strohl, la vie de Rita bascule une deuxième fois. Veuve, elle séduit un homme de 20 ans son cadet, René Billa, un rêveur, un artiste aux ambitions diverses qui se dit architecte, pianiste (il l’est vraiment et joue volontiers des œuvres de Rita), et qui crée des vitraux sous le nom de Richard Burgsthal. Le choix de ce nom d'artiste, profondément germanisant, semble lié à son admiration éperdue pour Wagner.

Durant trois ans il lui fait une cour assidue et un peu agitée, chantages, ruptures, menaces de suicide, et cela se termine par un mariage à Meudon en 1908. Il lui promet qu'ensemble ils construiront une oeuvre sublime, quassi cosmique. C’est avec lui qu’elle lancera ce projet un peu fou mais grandiose de créer un mini-Bayreuth français. Soucieuse d’échapper au carcan parisien pour faire de la musique expérimentale et non ce qu’on attend d’elle, elle choisit le calme de Bièvres et fuit la capitale. Avec René, elle s’y installe et, avec l’appui d’Odilon Redon, de Gustave Fayet et d’autres souscripteurs qui croient en elle, elle  conçoit le grand dessein de « La Grange ».
Le lieu est presque mystique, un bâtiment de pierre meulière, simple mais abritant une salle de spectacle qui pourra accueillir les opéras de Rita. Car elle a décidé de renoncer à composer des symphonies pour se consacrer à l’opéra. Elle met en place trois grandes fresques lyriques : le cycle chrétien dont elle rédige en outre les livrets (Le Déclin de la Tour d’Ivoire), un cycle celtique avec un opéra de 5 jours, en fait 5 opéras de 2h chacun, d’inspiration bretonne, et pour finir un cycle hindou, en 7 jours, qui est resté inachevé (il en existe toujours une partition pour 6 pianos et chants). Pour faire vivre tout cela, elle a des projets gigantesques, de machineries compliquées, de décors grandioses.  La Grange prévoit une fosse d’orchestre la plus profonde possible, située 3m en dessous de la scène, afin que les spectateurs ne voient pas la musique se faire, et se contentent de l’entendre, comme un rêve. C’est à la Grange aussi que son époux construira son premier four pour y cuire ses vitraux et tenter ses propres techniques expérimentales. Il se passionne lui aussi pour les mythes les plus rares, les légendes teintées d'ésotérisme, l'alchimie, Baudelaire et la poésie symboliste, la philosophie de Nietzsche, et voue un culte inconditionnel à Wagner. La rencontre avec Gustave Fayet, passionné d'hermétisme et qui vient d'acquérir Fontfroide, dont Odilon Redon décore la biblitoghèque entre 1909 et 1912, lui permettra de créer sa propre fabrique de verre pour réaliser les vitraux de cette abbaye.

Rita et lui donnent quelques concerts devant un public d’amis mais ce projet ambitieux et complexe pour lequel elle a choisi de quitter Paris, ne dépassera pas le stade de l’ébauche. La Femme pécheresse, créée en 1913, tombe mal et coûte si cher en décors qu’elle ne peut le réaliser comme elle l’aurait souhaité. Tout est trop grand, trop coûteux, elle se heurte à des critiques voire à une certaine hostilité et surtout, surtout survient la Guerre de 14. Plus aucun concert ne peut y être donné pendant toute la durée du conflit et en 1918 Rita traverse une crise personnelle grave qui la fera abandonner ses rêves lyriques. Elle est déçue, traumatisée par la guerre, dépressive, souffrant, c’est révélateur, de bourdonnements d’oreilles. Le rêve qu'elle avait construit avec Billa s'effrite.
Elle quitte Bièvres pour le midi et lorsqu’en 1930 René Billa la quitte pour épouser une femme plus jeune, elle s’installe définitivement à Vance (précisément à La Gaude). Elle compose de moins en moins et même si elle est encore jouée, sa réputation va faiblissant. Elle meurt en 1941, pas encore oubliée grâce en particulier à sa très fidèle amie Jane Bathory qui lui consacre en 1939 une émission de radio, mais en passe de l’être. Le temps a fait cruellement son œuvre mais l’initiative conjuguée de Marie-Madeleine Martini, sa petite fille par alliance et de Lydia Jardon peut permettre de rêver que toutes ses partitions pourront un jour revoir le jour. Et surtout être jouées.


Cet article a été écrit grâce à l'intervention de Feriel Kaddour, conférence donnée dans le cadre du Festival Musiciennes à Ouessant le 2 août 2011, qui s'appuie elle-même sur le mémoire de DEA de Sylvie LE COZ, Rita Strohl, soutenu en 1991 à l'Université de Rennes 2, 1990/1991 et sur les souvenirs mis en ligne par Marie-Madeleine Martini, présente avec sa soeur Marie-France, à la conférence. Madeleine et Marie-France avaient épousé des frères jumeaux, petits fils de Rita. Ce site est un vrai réservoir d'anecdotes et d'informations personnelles sur la musicienne, précieux et passionnant, mais tout le travail musicologique reste à faire, un travail qui permettrait de mieux apprécier le talent de cette femme libre et hors normes et de le reconnaitre à sa juste valeur. C'est le grand mérite d'un Festival comme celui de Lydia Jardon de permettre d'exhumation de pareilles merveilles. Ce serait absolument formidable que cette première étape, franchie avec une grande émotion en présence de plusieurs descendantes de Rita Strohl, soit le début d'un véritable approfondissement de l'oeuvre de cette dernière, qu'un généreux mécène ou une fondation permettre le classement, l'archivage et l'édition de toutes ces partitions, enfouies vaille que vaille dans une grande malle, comme le faisait plaisamment remarquer Marie-Madeleine. Rien que le cahier qui renferme les reflexions de Rita Strohl sur son approche des couleurs en musique constitue, à lui seul, un petit trésor dont la publication serait passionnante.

5 commentaires:

  1. Me revoilà, que de billets intéressants tu as publiés pendant mon absence, j´ai du travail, ils ont l´air passionnants.
    Un petit bonsoir.
    Alba

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  2. C'est passionnant et c'est bien la preuve qu'il y a toujours eu des femmes audacieuses, créatives et entreprenantes, même si la société ne leur a pas fait de cadeaux.

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  3. Merci Alba, redécouvrir une compositrice a toujours un côté un peu détective qui a quelque chose de passionnant.
    Aifelle, c'est sûr que les femmes ont plus de mal à imposer leur talent tant elles se voient opposer des a priori parfois réducteurs.

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  4. Michelaise pendant que je faisais partie de la multitude vile qui sous le fouet du plaisir gourmand va cueillir des cèpes sous la halle de Monpazier tu vas, sur le balcon d'Ouessant, faire surgir du fond des eaux les notes surannées d'une musicienne oubliée. Bravo pour cette série de reportages sur Rita Strohl. Je n'avais jamais entendu parler de cette compositrice. Y aurait-il eu quelque enregistrement lors du concert pour diffuser au moins sur You tube ?

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  5. Bonjour, Michelaise.
    Tout ce que tu écris est passionnant.
    Et j'apprends beaucoup.
    Je suis en admiration devant ces bouquets de culture.
    Merci beaucoup.
    Bonne journée.

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