mardi 10 janvier 2012

LE LOUVRE... TOUJOURS (2)

Suite de l'article Le Louvre ... toujours (1) consacré à l'exposition La Cité Interdite et  le Louvre


Nous en étions restés, un peu affalés, dans le reposant salon d'Angelina : vue sur le parvis, chocolat très apprécié des enfants et douceurs intemporelles. Que fait-on maintenant ? Koka, les moustaches soulignées de crème, déclare forfait et nous, nous décidons de rester, mais épuisés par les deux expositions, il faut faire light. D'ailleurs, en ce qui me concerne, depuis 15 ans (date de son "invention") j'ai une méthode pour visiter le Louvre : la peinture du mois. Cela me fournit une base, et de là, je vais voir d'autres toiles qui s'y rapportent ou s'y opposent ! Alter râle un peu, anxieux de tout ce qu'on va, forcément, rater, mais reconnait bien volontiers que la technique a fait ses preuves ! C'est ainsi qu'un jour, ayant admiré une toile de Delacroix dont on nous disait que les gouttes d'eau, déposées sur une feuille, étaient inspirées de Rubens, nous nous sommes offert la visite de la Galerie Médicis, salle un peu rebutante dans laquelle nous étions passés moultes fois sans jamais daigner accorder un regard à cette suite conventionnelle. Mais il fallait bien retrouver les gouttes d'eau... cela nous permis d'apprécier à sa juste valeur, le talent d'un peintre dont les sujets un peu trop florissants nous rebutaient à première vue !
Or en novembre, c'était Byzance au Louvre !! pas moins de trois "peintures du mois"... La toile choisie se trouve toujours au même endroit, salle 18 des Peintures françaises, salle Richelieu au 2ème étage, ce qui nous vaut d'emprunter l'étonnant escalator enchâssé entre deux murs de pierres percés d'immenses oculi. Pourtant le Combat de David et Goliath de Daniele de Volterra (n°184) dont j'ai déjà longuement parlé, est resté dans la Grande Galerie. 


Par contre c'était bien à l'emplacement habituel qu'on trouvait Suzanne au bain de Jean-Baptiste Santerre. Intitulé "hommage à l'artiste, en liaison avec Magny-en-Vexin, sa ville natale", la présentation permettait de découvrir ce peintre mal connu qui entra sur le tard à l'Académie, accédant à 53 ans à la catégorie de peintres la mieux considérée, celle des peintres d'histoire. Le sujet, délicieux et très tendance au XVIIIème, est traité dans une gamme de tons délicats de blancs, de gris, de verts sombres et de rouges profonds. La scène que nous surprenons est baignée d'une douce lumière argentée qui lui confère une poésie raffinée et très évocatrice. La qualité d'exécution est virtuose, révélant le métier de l'artiste, touche fine mais efficace qui traduit la fermeté des chairs, brosse les feuillages avec brio et pose avec aisance les reflets des tissus. Un rayon de lumière tombant de la gauche vient ensoleiller les chairs rosées du modèle, faire étinceler les plis du linge dont elle se couvre pudiquement (encore que la radiographie ait révélé qu'un repentir découvrait plus largement sa cuisse gauche à l'origine masquée) et insiste sur cette jambe nonchalamment repliée qui se termine par un "pied mignon". La touche écarlate du manteau rejeté à l'arrière clos cette composition intime, placée, comme il était bon de le faire, dans un décor d'antiques. Si nous en avions eu le courage, cette oeuvre aurait pu agréablement être comparées aux Boucher et Fragonard que le musée renferme.

La dernière peinture du mois était, chance pour nous, celle d'octobre, encore en place ! Cette Vierge allaitant est un chef d'oeuvre de jeunesse de Bartolomeo Vivarini (1430 - 1491), offert au musée par Jean-François Costa. Cette Vierge à la taille haute, l'air pensif et un peu absent, est drapée dans un manteau sombre aux plis lourds  et marqués, qui font penser à la monumentalité de son exact contemporain Mantegna. Mais ici, la patte de Vivarini, empreinte de douceur et de rondeurs, impulse à la scène une humanité émouvante que le geste de l'Enfant qui entoure des deux mains le sein arrondi de sa mère, goulu et impatient, accentue encore. Il aurait fallu aller voir la Vierge à l'enfant de Sassetta, presque contemportaine, saluer celle de Van Eyck, si majesteuse et accorder quelqu'attention aux Mantegna et autres Bellini, histoire de situer Vivarini dans son contexte. Mais à ce stade, nous étions saturés et il valait mieux partir.


En quittant le musée, je n'ai pu résister à cette "publicité" qui annonce, en en francisant le nom selon notre manie très cocardienne, l'ouverture prochaine du Louvre d'Abu Dhabi. Mandarine, consultée, prétend que rien ne se passe et que l'inauguration prévue pour fin 2013, risque fort d'être repoussée. Pourtant, on dit que les fondations sont terminées et que bientôt on devrait commencer le dôme. Cela m'a inspiré une visite détaillée du site de Jean Nouvel, histoire de rêver un peu à cette réalisation qui a fait couler beaucoup d'encre et a suscité pas mal de controverses et de critiques, mais qui, d'un point de vue architectural, est proprement superbe.

© Ateliers Jean Nouvel

Le musée est construit sur l'île de Saadiyat (l'île du Bonheur), une réserve naturelle de 27 km² située à 500 m de la côte. Cette île comprendra, en plus du Louvre, une annexe du Guggenheim, ­le Zayed National Museum consacré à l'histoire des Émirats ainsi qu'un centre de performance artistique consacré à la danse, la musique et le théâtre avec plusieurs salles de spectacles. Bâti sur l'eau, le musée conçu par Nouvel qui a, nous dit-il "pensé aux cités disparues, enfouies sous le sable ou immergées dans la mer" ressemblera à "une île recouverte d'une ombrelle d'acier de 180 mètres de diamètre reposant sur trois pieds". La coupole dentelée, faite d'un entrelacement de différents matériaux, laissera "passer la lumière dans la tradition des moucharabiehs arabes". Le musée sera composé de plusieurs bâtiments différents, dont l'usage définira la disposition géographique. Tous ne seront pas situés sous le dôme. L'eau joue un rôle crucial dans le projet de Jean Nouvel, "en agissant comme un miroir dans lequel se reflète le bâtiment, et en créant, à l'aide du souffle du vent, un micro-climat agréable". La surface totale du musée sera de 24 000 m², dont 6000 m² accueilleront les collections permanentes et 2000 m² les expositions temporaires. Le musée constitue sa collection au fur et à mesure. Sa première acquisition était en février 2009 une composition de Piet Mondrian de 1922, lors de la vente Yves Saint Laurent-Bergé. Nous avons eu l'occasion de voir une œuvre prêtée à l'exposition Manet qui avait lieu il y a peu à Orsay.


Le Louvre, après avoir vendu l'usage de son nom pour 400 000 euros, s'est engagé à organiser 4 expositions par an dans le complexe d'Abu Dhabi. Au total, l'opération devrait rapporter quasiment 1 milliard d'euros à la France. Certains se sont émus du l'engagement du prêt d'œuvres du Louvre parisien, envoyées à Abu Dhabi pour des durées de 6 mois à 2 ans, comme le prévoit la convention. Mais avouons que le Louvre est tellement riche, tellement impossible à visiter autrement que par petites touches, sous peine de se dégoûter à vie de toute forme d'art, qu'il pourra, sans que nous en soyons vraiment lésés, prêter nombre de ses œuvres, sans compter les réserves qui, elles, ne demandent qu'à être mises en valeur. Ces prêts sont souvent l'occasion de restaurer les oeuvres avant de les exposer, et cela ne peut être qu'au bénéfice des visiteurs du musée. Et puis cette politique de prêts est une ancienne tradition pour le musée du Louvre : qu'on pense simplement à tous nos musées de province dont nombre de peintures sont là grâce aux "fameux dépôts du musée du Louvre" qui nous permettent d'avoir accès à des œuvres que ces musées n'auraient pas l'occasion de montrer sans cela. Les râleurs de tous poils sont forcément à l’œuvre, et, entre le "dépeçage" annoncé du Louvre, les ouvriers maltraités du chantier de l'ile de Saadiyat et la censure émiratienne sur les impudicités du nu dans l'art, ils ont du grain à moudre !! J'avoue quant à moi, sans doute fort naïvement, être tellement éblouie par le projet de Nouvel que ces réactions me passent au dessus de la tête !

10 commentaires:

  1. Tes billets sont toujours très agéables à regarder et fort intéressants à lire, mes forces par contre encore un peu trop affaiblies pour me permettre de les commenter convenablement, alors afin de me rendre quand-meme utile je signale, toujours à Paris, une expo de tout autre genre qui va bientot fermer. D'intéret plutot sociologique qu'esthétique (quoi que...), elle a eu un certain écho chez les médias italiens: je me rappelle un article dans le Corriere della Sera (ou c'était la Repubblica..?) et en voilà meme deux dans le meme site:

    http://www.minimaetmoralia.it/?p=6158

    http://www.minimaetmoralia.it/?p=5791

    Parisiens, de souche ou de passage, vous avez le temps jusqu'au 23 janvier. Faites-nous savoir...

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  2. Bonne idée! cette méthode d'étudier systématique la peinture du mois! Je pourrais te suivre. j'ai la chance d'être assez proche de paris et avec le pass Education...(pourvu qu'il soit encore accepté longtemps!)

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  3. Bonjour Michelaise

    Je retiens pour ma part cette très belle toile de Vivarini à la fois Vierge à l'enfant et Charité et votre idée de l’œuvre du mois même si je ne peux passer au Louvre sans saluer Il Corteggiano.
    Bonne journée.

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  4. J'avais cru comprendre que les "prêts" seraient assez longs (environ 10 ans) de la part de beaucoup de musées Orsay,Versailles,Quai Branly.
    L'article que j'avais lu n'était pas très clair car on parlait de prêts donc sur 10 ans mais on ne voyait pas d'autonomisation avant 30 ans!

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  5. Merci Siu pour l'exposition de Carlo Mazza Galanti, j'espère que mes lectrices parisiennes auront le temps d'y courir avant le 23 janvier : c'est aux Archives Nationales. Et qui sait, nous raconteront ensuite !
    Miriam c'est une bonne alternative qui réserve parfois d'agréables découvertes et sur laquelle on peut "broder" : sur le
    programme du premier trimestre, en le feuilletant, vous trouverez page 19 les futures "peintures du mois" : celle de Janvier m'aurait bien intéressée, le dejeuner d'huîtres de février est tout à fait ce qui aurait plus à une michelaise et la vue du cap Nord m'intrigue déjà !! en tout cas, le truc, c'est d'y aller en fin de mois, la précédente est encore là et la nouvelle souvent déjà en place, comme cela on en a deux !!!

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  6. AH Miss bien sûr qu'on profite toujours d'une visite au Louvre pour faire quelques clins d'oeil à des toiles, peintres ou oeuvres aimées... En ce qui me concerne j'ai du mal à passer au Louvre sans saluer la Vierge au chancelier Rollin.
    Aloïs, j'avoue ne pas savoir quelle serait la durée prévue pour ces prêts, et j'imagine que l'autonomisation risque d'être longue, c'est tout de même vaguement fou de créer un musée de toutes pièces, même si on est richissime. D'autant que les achats, forcément, feront grimper les cotes.

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  7. C'est vrai qu'il était excellent le chocolat chez Angelina...
    J'avoue que les peintures du mois sont toujours enthousiasmantes et bien mises en valeur : il ne faut pas grand chose pour nous éblouir !!
    Quand au Louvre Abu Dhabi, je n'en savais pas autant, mais je vois cette publicité à chaque fois que je passe dans le hall, avec aussi cette impression que rien n'avance. Ce n'est pas forcément étonnant, si tu regardes sur son site, les projets de l'atelier étaient plétore jusqu'en 2008 et se raréfient bien depuis.
    Bonne journée !

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  8. Très bel article! J'y retrouve entièrement ma passion pour l'art! Le Louvre est un de mes musées préférés. J'ai beau m'y être rendu plusieurs fois, j'ai l'impression de n'avoir encore rien vu!

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  9. Connais-tu la présentation d'oeuvres et/ou de peintres filmées par Victor Olbak? J'ai découvert plein de choses, en regardant ses émissions sur Arte. Une autre vision que celles de Alain Jaubert, que j'ai en DVD.

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  10. Koka, si l'on en croit Mandarine, les dates annoncées ne seront pas respectées, le chantier étant plus ou moins au point mort. Tu risques de n'en voir que les fondations, et nous guère mieux !!!
    Marc, ravie de votre visite. Oui le Louvre, il faut y aller, y retourner, et y retourner encore, et, de toutes façons, on n'aura jamais tout vu !! Et on y fait toujours des découvertes.
    Noune, je n'ai pas la TV donc je ne connais pas cette émission, par contre j'ai la série complète, un monument d'Alain Jaubert et les regarde toujours avec plaisir, même si la voix de Jaubert est soporifique, c'est passionnant.

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