dimanche 6 février 2011

NEOTAYLORISME CHAPITRE 3

Suite du chapitre 1 et du chapitre 2
Et dans les faits qu’en est-il de ce travail nouvelle norme ? Au nom de la flexibilité, le salarié se voit confier des taches plus complexes, plus complètes mais aussi plus exigeantes, tant en termes de compétences qu’en termes de disponibilité. Il faut savoir tout faire, répondre à tout dans l’instant, en un mot être polyvalent. Ces nouveaux modes d’organisation du travail peuvent sembler anodins mais le stress qu’ils engendrent est souvent la cause de souffrances au travail, d’une nature différente de celles que provoquait le taylorisme mais dont les effets sont aussi douloureux, voire plus, car insidieuses et plus difficiles à contourner. Un chantage implicite accompagne ces méthodes, accentué par le climat de compétitivité qui règne sur l’économie mondialisée. Avec, à la clé, l’impression pour le salarié soumis à ces pressions permanentes qu’il est nul car il ne s’en sort pas, qu’il est en-dessous de tout parce qu’il n’a pas la niaque qu’il faudrait pour résoudre tous les problèmes, qu’il n’est qu’un minable parce qu’il rame…

Parallèlement, le savoir-faire issu du taylorisme repointe son nez. Les modes opératoires sont soigneusement analysés et font l’objet de fiches de processus imposées à l’exécutant, où tout est prévu, de la façon se saluer le client jusqu’à la façon de gérer les conflits. Le salarié adopte alors un comportement standardisé qui est censé le protéger, mais qui le contraint.

A cela s’ajoute un contrôle omniprésent, de l’ « enregistrement des conversations pour améliorer la qualité de nos services », au minutage du temps d’enregistrement rendu aisé par les caisses électroniques, en passant par le contrôle des déplacements des collaborateurs facilité par l’usage des GPS. Les NTIC permettent un suivi permanent du salarié et une mesure impitoyable de ses performances : nombre d’appels reçus à l’heure, nombre de personnes lavées par matinée, nombre de sandwiches servis par jour, nombre de clients enregistrés en caisse etc… Et avec le sourire, SVP. Même la qualité du sourire est mesurée : chez MacDo par exemple, il doit se faire en regardant le client dans les yeux*. Et toujours chez MacDo, la polyvalence règne : après avoir assuré le service au comptoir, il faudra passer le balai, faire la plonge et travailler aux cuisines. Et bien sûr faire face avec brio à tous les imprévus.

On ne parle plus de cadence, mais d’objectif. Soit le salarié sera assez rapide pour respecter les minutages prévus, soit il fera des heures supplémentaires non rémunérées pour atteindre ses objectifs.

Car savez-vous ce qu’on a oublié dans ce nouveau taylorisme ? Le principe de redistribution des gains de productivité qui permettait, en théorie du moins, au Charlot de la chaîne de supporter les cadences imposées. Maintenant, le challenge est seulement de conserver son boulot. Voire, comme on nous le demande actuellement, d’accepter sciemment de gagner nettement moins pour éviter la fermeture de nos formations. Des rémunérations légales, d’heures réellement effectuées, sont supprimées par les rectorats, sur la base de la négociation individuelle et du volontariat. En toute illégalité, puisqu’en contradiction avec les textes, mais qui osera trainer un recteur qui peut faire disparaitre votre boulot sans autre forme de procès, devant un tribunal administratif.

Et que deviendront les élèves me direz-vous ? Oh, pas de problème, les formations privées fleurissent. Si vous aviez vu l’étonnement des parents quand je leur annonçais que la licence préparant dans mon lycée à un diplôme d’état (pas à une formation reconnue seulement par elle-même) était entièrement gratuite. Quoi ? Pas de frais d’inscription ? pas de frais de scolarisation ? Mais non, madame, monsieur, l’Education Nationale, vous vous rappelez, l’éducation libre et gratuite pour tous, les hussards noirs de la République, les sabots qui montent …


*Pour votre édification, voici, selon Jean –Pierre Durand, La chaîne invisible, Le Seuil, 2004, les tâches élémentaires chez MacDonald’s (Définition du poste " Service au comptoir")

Accueillir le client o Sourire et accueillir le client avec une voix chaleureuse, regarder le client dans les yeux o Avoir une attitude amicale et enthousiaste

Prise de commande o Être attentif lorsque le client passe sa commande o Répéter si besoin la commande du client. Faire de la vente suggestive ou moussée (1) o Communiquer les commandes grill en cuisine o Demander si la commande est à consommer sur place ou à emporter o Annoncer le montant

Assembler la commande o Assembler la commande dans l'ordre recommandé o Utiliser, pour les ventes à emporter, les packs " best of " si possible, sinon des sacs de taille adéquat o Vérifier la qualité des produits (si le produit n'est pas parfait, ne pas le servir) o Respecter le temps de retenue des produits o Connaître le principe du " Mc Time "

Présenter la commande• Vérifier l'exactitude de la commande o Pour les commandes à emporter, fermer les packs et les sacs d'un double pli, les présenter au client face pliée vers vous o Pour les commandes sur place, tendre le plateau au client o Remettre un cadeau de bienvenue aux enfants

Recevoir le paiement o Énoncer clairement le montant de la commande o Énoncer clairement le montant reçu o Saisir sur la caisse le montant reçu o Placer les billets en travers du caisson o Énoncer le montant reçu et remettre la monnaie dans la main du client avec le reçu o Ranger les billets

Remercier le client et l'inviter à revenir o Remercier le client et l'inviter à revenir sur un ton sincère et chaleureux o Ne jamais remettre en service des produits retournés par le client o Faire apporter en salle dès qu'ils sont prêts, les produits en attente

(1) Une vente suggestive est un complément adapté à la commande; une vente moussée est la catégorie supérieure du même produit.

7 commentaires:

  1. Je n'ai pas le courage de commenter ces trois chapitres, seulement dire, pour avoir vécu les transformations sociales de l'entreprise familiale,
    que la qualité de vie n'a cessée de se détériorer aussi bien pour les dirigeants que pour les employés. La rentabilité reste une nécessité dans toute entreprise commerciale confrontée à la concurrence, hors le coût de la main d'oeuvre a fait un tel bond qu'il fallait à la fois réduire les charges de personnel et en même temps réduire les horaires de travail pour une qualité de service égale : donc chacun devait en faire plus en moins de temps avec moins de monde.
    Du temps de mes parents années 50 il y avait une trentaine de salariés, certains sans travail bien déterminé, il était là au cas ou et on trouvait toujours une bricole à lui faire faire. J'ai terminé à onze, en sous-traitant d'abord la buanderie puis l'entretient quotidien des chambres.
    Je ne parle pas du métier de mon épouse, modéliste dans le prêt à porter féminin, les années 70 ont vues la fermeture de l'entreprise Bergeracoise florissante dix ans plus tôt.
    Je regarde avec beaucoup d'angoisse l'avenir des petits enfants !

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  2. Merci de ton témoignage Robert, rien n'est univoque c'est évident et un des problèmes de ce néotaylorisme est qu'il est consenti. Je veux dire que les salariés eux-mêmes savent que leurs emplois sont menacés et acceptent, bon gré mal gré, ces nouvelles contraintes. Ce qui est surprenant c'est de constater que ce qui, polyvalence, autonomie, flexibilité, dans un premier temps est "enrichissement des taches", dans un deuxième temps se révèle source de stress, voire de mal-être au travail. Et le taylorisme, qu'on croyait enterré, se révèle encore plus prégnant qu'aux premiers temps.
    Mais globalement c'est notre philosophie de la vie, du travail, de l'économie, nos exigences, bref nos sociétés qui sont en cause. Une évolution inéluctable mais dont il faut avoir conscience.

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  3. Je lisais le commentaire de Robert, la situation de l'entreprise de mes beaux-parents (fabrique de gaines et soutiens gorge) est un peu la même. 50 employés dans les années 60 et tout était confectionné sur place. A ce jour reste à peine une dizaine de personne et 80% des pièces viennent de Chine.

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  4. Mc Do et autres: je déteste ces sourires obligés ! Le "...et bonne journée" entendu un peu de partout m'exaspère car il est parfaitement machinal et non pensé.

    Dans mon travail «de bureau» le passage aux 35h, a pu être bénéfique parfois pour le personnel astreint à des horaires fixes, tel celui «de guichet». Mais pour le gros des troupes il a fallu faire plus en moins de temps, sans gagner d’avantage. Et cela a été catastrophique pour les autres : il a fallu, pour en justifier la réalisation (du passage aux 35), tout mesurer, quantifier, évaluer. Les moindres des tâches, déplacements ou réunions, furent alors mises en fiches pour être agglutinées dans des rapports sensés être ultérieurement disséqués pour «optimiser» l’organisation et les résultats du travail…Il ne pouvait donc plus y avoir de place pour les rapports humains et la place qu’ils donnaient à l’échange et le partage des savoirs et expériences. Ceux-ci étaient mis en route par des DRH l’œil vissé au compteur…En ce qui concerne la polyvalence celle-ci a été aussi organisée, planifiée au lieu et place de certains emplois de bon sens qu’évoque Robert M : il y avait toujours quelqu’un pour boucher les trous et faire face aux coups de bourre…

    Dans le monde agricole, où j’ai un pied, l’on s’achemine vers la même «partialisation» des travaux. Il faut rendre des comptes à de plus en plus de structures et organismes de tous poils sans compter avec les contraintes parfois ubuesques qu’imposent les nouvelles règles découlant la plupart de textes européens: de la pression des pulvérisateurs aux nombres de pieds à l’hectare pour la vigne. Reste à planifier la pluie, le gel, le soleil et le vent. Vaste programme…

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  5. J'ai bien aimé dans le même document les boulons de Novotel!!
    Ton exemple de Mac Do me fait penser l'expérience de notre puisné qui a travaillé un an à Dublin chez Mac DO.
    L'approche y est tout à fait différente,mêmes demandes vis à vis de l'accueil et du rendement,par contre vis à vis des salariés ,si le manager voit que tu as envie de travailler il te propose des heures,des heures et encore des heures ,si il voit que tu n'as pas trop envie de te tuer à la tâche c'est le strict minimum qui t'es proposé.
    Ce que je noterais quand même c'est que tu me diras c'est un détail mais qui a son importance c'est que depuis quelques années où que tu rentres,dans n'importe quelle boutique un te dit bonjour.
    Tu as certainement une explication

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  6. Bonjour, Michelaise.
    Finalement, tout s'aggrave.
    J'aurais dû m'en douter depuis le début...
    Plus grave encore...Je souris (avec amertume )...
    Merci beaucoup.
    Je t'embrasse.

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  7. Et oui, Gérard, et cela rejoint la une de Lulu il y a deux ou trois jours, à propose de la fermeture de l'usine d'Aubade vers chez elle( aux environs de Poitiers) comme le fut celle d'Arena à Libourne, le tout via la Tunisie.
    Ah Roberto, le jour où on aura planifié la météo, 1- Koka aura perdu son boulot (elle la modélise !!! vi vi !) 2- on sera vraiment fichus... Je plaisante mais merci pour ton commentaire éclairé !
    Aloïs, les 70 boulons de Novotel, un système exactement semblable aux machines d'un chaine et pourtant dans le tertiaire et le sourire, et le geste ... alors c'est vrai, on nous dit Bonjour dans les magasins, et c'est appréciable même si, comme le regrette Roberto, ce sourire est programmé. Mais pourquoi faut-il avoir à passer par des fiches de processus pour être aimable ??? Il y a, aussi, une part de responsabilité de la part de certains salariés qui avaient oublié l'essentiel. Oui, je fais de la provoc, mais les employeurs qui ont du mal à trouver du personnel compétent et fiable, cela existe aussi, on pourrait en faire un article assez long. Rien n'est blanc ou noir, mais une chose est sûre, le monde du travail est devenu stressant, comme le monde tout court d'ailleurs !

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