jeudi 30 juin 2011

DEDICACES EMILIENNES


Décidemment, tenir un blog, ça vous change le regard : vous êtes paisiblement en train de faire du tourisme et vous apercevez une licorne, peinte à fresque sur les murs d'un palais, et clic, vous prenez une mauvaise photo en pensant à La Licorne !! Les photos sont interdites, pas question d'utiliser un flash, mais vous n'avez pu vous en empêcher, histoire de dire "je pense à toi !"...


Plus loin, dans le même palais, le pauvre Icare chute depuis plus de 4 siècles et, le nez au plafond, vous pensez à la série d'articles écrits par Koka sur cette légende et ses traductions littéraires, picturales, voire poétiques. Et re-clic... pour Anamorphoses, mon blog préféré !

Tiens, y a du monde dans cette galerie !! Hoooooorreur, des mannequins de cire qui campent, fagotés comme des acteurs et mal grimés, les principaux personnages de l'histoire italienne et mondiale. Napoléon en tête !! On croise Kennedy, poupon, De Gaulle, sans prestance, Staline, Lénine, quelques papes, et tant d'autres... Et pas Cecilia Bartoli ??? Allez, on immortalise cette suite pour la dédier à GF !!! Avec une mention spéciale pour lui qui fait des exploits, du fin fondnde la Lozère, pour lire et commenter ce blog !


Plus loin, qu'il n'y voit que l'expression d'une sincère amitié et la reconnaissance respectueuse d'une revendication qu'il porte haut et fort, un petit cliché de la magnifique Arche d'Alliance de la synagogue de Sabbioneta, pour Roger Dautais.


Pour Lulu, cette petite procession de lutins et de sorcières, saisie au travers d'un vitrage qui reflétait la cour d'un des innombrables châteaux parmesans visités... Et la silhouette d'Alter !!


C'est pas possible de faire un voyage en Italie, et ne pas croiser un puits ! Voyons, il me faut un puits pour Françoise... Que diable, soit je n'ai pas les yeux en face des trous, soit il y a quelque chose qui m'échappe. Tiens, en voici un... zut, le portail se referme, vite, vite, un cliché avant qu'il ne se dérobe !


Malheureusement, je n'ai pas trouvé un cliché pour chacun de vous, trop prise par de multiples sollicitations, j'ai été distraite, ou suis tout simplement restée en admiration devant tant de belles choses que je n'ai plus pensé à mes dédicaces. Pourtant, en rentrant, je tombe sur une petite fille vue par Danielle dans une exposition Paris Delhi Bombay, qui me rappelle cette jolie fontaine, que je lui dédie !! Ainsi qu'à Enitram qui, elle aussi, avait photographié une jolie fillette... en compagnie d'Oxygène ! La ronde des enfants de bronze tourne joyeusement !!

mercredi 29 juin 2011

ITINERAIRE VERDIEN


Verdi est français… On ne le dit pas suffisamment, nous qui avons pourtant tendance à nous approprier toutes les célébrités flateuses au motif seulement qu’elles sont francophones, de Hergé à Simenon, nous ne revendiquons pas assez cette vérité évidente. Quand il naquit en 1813 à Roncole en Bassa Parmense, la région était sous la domination napoléonienne, et sa mère, dit-on, ne déclara sa naissance que quelques mois plus tard pour qu’il n’eut pas la honte de n’être point italien. Son acte de naissance est pourtant rédigé en français :« L’an mil huit cent treize, le jour douze d’octobre, à neuf heures du matin, par devant nous, adjoint au maire de Busseto, officier de l’état civil de la Commune de Busseto susdite, département du Taro, est comparu Verdi Charles, âgé de vingt huit ans, aubergiste, domicilié à Roncole, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le jour dix courant, à huit heures du soir, de lui déclarant et de la Louise Uttini, fileuse, domiciliée aux Roncole, son épouse, et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Joseph-Fortunin-François»


Un pèlerinage sur les pas de Verdi commence donc forcément par la maison natale du maître. L’humble demeure construite au XVIIIème par le marquis Pallavicino est située dans le petit village de Roncole (Verdi). Elle fut louée à la famille Verdi pour y installer une auberge de poste et une boutique d’alimentation.

Le travailleur a cheminé de l'humble maison à la conquête du monde
Avec lui le grand souffle de l'âme latine a fait le tour de la terre
Géant, il revint parmi les humbles
Aux humbles qui travaillent il offrit la glorieuse abondance
Pour l'anniversaire de sa mort, les pauvres de cette cité, avec gratitude *

L’enfant qui naquit là fut initié à la lecture et à la musique par le brave curé local, l’église en juste en face ! La famille Verdi n’était pas insensible à la musique, plusieurs proches de sa mère étant chanteurs. C’est ainsi que son père lui fit les cours du maître de musique de la ville voisine, Busseto, et il tenta, vers 18 ans, d’entrer au conservatoire de Milan. Où on le refusa au motif que sa technique pianistique était jugée insuffisante. 


La position de ses mains est considérée comme irrémédiablement mauvaise. La position des mains, son âge, de quatre ans supérieur à l’âge habituel d’admission, le peu de places de l’établissement, le statut d’étranger (et oui, rappelez-vous Verdi est français !), toutes ces raisons sont sans appel. De cette décision pénible Verdi, habitué à être adulé dans le petit cercle des mélomanes de Busseto, conservera durablement une profonde amertume.

Il travaillera dur pour finalement, trois ans plus tard, réaliser son rêve : devenir maître de chapelle à Busseto. Rêve qui, cependant, après les années milanaises où il baigna dans le monde du lyrisme qui lui ouvrait d'autres horizons, lui sembla bien étroit quand en 1835 il put l'accomplir. Il revient à Busseto, dirige, est maitre de musique mais aussi compose. La ville est trop petite pour lui et c'est à la suite de la mort de sa petite fille qu'éprouvé par le chagrin il décide d'aller se reposer à Milan. Il en reviendra pas à Busseto, ou si peu...


«  Monsieur le Maire,
Je m’aperçois, hélas, que je ne puis rendre à ma malheureuse patrie les services dont j’aurais voulu m’acquitter envers elle. Je regrette que les circonstances ne me permettent pas de donner une preuve effective de mon attachement à la cité qui, la première, m’a donné le moyen de progresser dans l’art que je professe.
La nécessité où je suis de me procurer les moyens suffisants pour nourrir ma famille me pousse à chercher ailleurs ce que je ne peux obtenir dans ma patrie. C’est pour cela que, me conformant aux dispositions de l’article 8 du contrat passé entre la mairie et moi-même le 20 avril 1836, j’annonce à Votre Excellence, avant que n’expirent les six mois de préavis, que je ne continuerai plus à servir en qualité de maître de musique après le 10 mai 1839.
Je conserverai dans mon cœur la plus vive affection pour ma patrie et une reconnaissante estime pour ceux qui m’y ont aimé, encouragé et assisté"

 Il reviendra à Busseto pour s'y reposer, pour composer, des étés de détente et de retour aux sources. En 1845, il achète l'imposante demeure bourgeoise de l'ancien maire, le Palazzo Cavalli. Une revanche sans doute ! Il s'y installle même, quittant Passy, en juillet 1849, non sans appréhension car  il a maintenant une jeune maitresse et il leur faut faire face aux préjugés conformistes de la petite ville. De fait, Peppina et Guiseppe passent les mois d’été à travailler sans contact avec la population bussétane pour en éviter la malveillance qui ne manque pas de se faire jour. Au printemps de 1851, la vie à Busseto devenant par trop étouffante, le compositeur s’installe à Sant’Agata avec Giuseppina (qu’il n’épousera qu’en 1859)


C'est donc la Villa Verdi de Sant'Agata qui, désormais accueille le maitre quand il a besoin de se retirer. Il y coulera des jours plus paisibles qu'à Busseto .

Ce qui n'empêche pas cette dernière d'être officiellement le sanctuaire verdien : théâtre Verdi construit en son honneur, statue, musée, tout y parle du célèbre compositeur ! Même s'il n'a eu, en définitive qu'une ambition, de la fuir ! 

 
* les talents de Siu sont requis pour affiner ma traduction, très imparfaite de la plaque de marbre !!

mardi 28 juin 2011

SPEED

Pardon à tous, j'ai publié vos délicieux, charmants... commentaires, tous plus sympas les uns que les autres, mais cette semaine, je suis prise à la gorge !!! Pas moyen de vous répondre individuellement, mais le coeur y est, et dès que je peux, je vous réponds un peu mieux !! Michelaise vraiment débordée !

lundi 27 juin 2011

IL PARMIGIANINO A FONTANELLATO

Fontanellato est une petite ville paisible et pleine d’un charme envoûtant. Sa Rocca s’élève sur une place bien dégagée et le lieu invite à la flânerie et à la halte prolongée.


La Rocca Sanvitale, qui s'élève majestueusement au centre de la place, est une belle bâtisse fortifiée entourée de larges fossés où croisent d’énormes carpes argentées. On y visite l’ancienne demeure des Sanvitale puisque le lieu fut occupé par cette famille du XIV ème siècle à 1948.

L’ameublement y est évocateur (portraits de famille, collection de larges assiettes blanches constituées d’une calotte et d’un large pourtour dans lesquelles, nous dit-on, on mangeait ensemble primo piatto et secondo piatto, l’un au centre, l’autre sur les bords) mais sans grande valeur artistique. Par contre, outre son aspect général qui a fière allure, la Rocca vaut la visite pour deux choses. La première est plus anecdotique que belle : il s’agit d’une chambre noire dans laquelle, par un effet de prismes, de lentilles et d’écrans, on se trouve comme à l’intérieur d’une chambre photographique. On distingue parfaitement la place qui entoure le château alors qu’on est enfermé dans une tour.
L’autre est une pièce peinte à fresque en 1524 par Francesco Mazzola, dit le Parmigianino, qui illustre avec brio et le mythe de Diane et Actéon.
Autrefois nous l’appelions, avec notre manie nationale de franciser Firenze en Florence et Beijing en Pékin, le Parmesan. Ce qui donnait en italien il Parmegiano. Autant dire qu’avec un pareil nom et le développement de la renommée du fromage homonyme, l’appellation n'était guère flatteuse. D’où sans doute le nom qu’on lit sur les cartels de musées et dans les guides en Italie : il Parmigianino, qui n’a rien de réducteur . Girolamo Francesco Maria Mazzola ou Mazzuoli est né à Parme en 1503, ce qui lui vaut son surnom, et son éblouissant talent en fait un des peintres essentiels du XVIème siècle italien.

En 1524, la Camera di San Paolo du Corrège devint inaccessible car après la mort de l'abbesse Giovanna Piacenza qui s'était battue pour garder son monastère hors des règles rigides de la papauté, la clôture est appliquée sans concession et le monastère n'accueille plus aucun visiteur pendant presque 3 siècles. C'est cette année-là que Parmigianino décore à fresques une petite pièce du château de Fontanellato, et depuis qu'on connait ces dernières, restées elles aussi cachées longtemps, le lien stylistique entre les deux ensembles est évident.

Cela s'explique aisément. Galeazzo Sanvitale, comte et seigneur de Fontanellato, vit et apprécia à Parme la salle de l'abbesse Giovanna, et, désirant décorer une pièce de son château, il chargea un très jeune artiste, qui avait cependant déjà fait ses preuves, de réaliser une décoration sur un thème très proche. Francesco Mazzola, qui est né en 1503, orphelin de père et élevé par ses oncles Michele et Pier Ilario, peintres modestes mais qualifiés, désire voler de ses propres ailes. Il accepte donc ce chantier et peint la représentation du mythe de Diane et Actéon: le chasseur Actéon, ayant surpris Diane en train de se baigner nue, est puni par la déesse de son audace (involontaire). Transformé en cerf, il périt, déchiré par ses propres chiens. Mais on le sait, derrière chaque commande, comme à Parme avec les fresques du Corrège, il y avait une programme iconographique et ici tout se complique car les intentions du commanditaires ne sont pas aisées à comprendre. On a beaucoup glosé sur cette salle et sur la signification, réelle ou supposée, de ces fresques. Toutes ces discussions sont basées sur l'observation des particularités de cet ensemble pictural, dont certaines sont surprenantes.


La salle du Parmigianino est située au rez de chaussée de la demeure, ce qui est a priori inhabituel, puisque c'est le niveau des pièces de service, alors que les salle nobles sont au premier étage. La pièce est de petites dimensions et elle fut longtemps très sombre : la fenêtre qui l'éclaire aujourd'hui ne fut crée que porterieurement aux fresques. Pourquoi orner une pièce presque noire de si sompteuse manière ?? La destination de l'endroit reste mystérieuse : boudoir, salle de bains, dressing ? Vasari qui ne parle pas plus de ces fresques que de celles de San Paolo, ne nous est ici d'aucun secours alors qu'il est d'ordinaire une source précieuse pour Il Parmigianino. Tout cela, ajouté au programme iconographique, renforce le mystère autour de cette oeuvre de grande qualité.

Le choix du mythe, la représentation de Diana près d'une source, la présence d'un miroir au centre de la voûte, la petite taille de la salle, et la présence parmi les fresques d'un portrait qui serait celui de Paola Gonzaga, ont fait penser aux critiques que la destination la plus probable était une salle de bains. Cependant, d'autres éléments découverts ces dernières années ont fait naître d'autres hypothèses. Le miroir placé au centre de la voûte est entouré d'un cadre en bois doré avec l'inscription "respice finem» (observe la fin). Tout autour, le ciel bleu, et une pergola avec des enchevêtrements de bambou et des guirlandes soutenues par des putti, certains ailés et d'autres non. Dans les lunettes est peinte l'histoire de Diane et Actéon. Plus bas, une inscription tourne autour de la salle: « Dis, ô déesse, pourquoi, si c'est le destin qui a conduit ici le malheureux Actéon, il a été donné comme nourriture à ses chiens. S'il est licite que les mortels soient punis lorsqu'ils commettent une faute, une telle colère ne convient pas aux dieux » Rapproché du finem respice autour du miroir, c'est une mise en garde qui déclare qu'on peut être puni sans avoir commis de crime. Nous trouvons donc ici une protestation contre la cruauté de la déesse, alors qu'à Parme Le Corrège exaltait les vertus de Diane, pour louer celles de l'abbesse commanditaire.

On remarque encore bien d'autres singularités.

Sur un mur, une nymphe est poursuivie par deux chasseurs: la couleur et la forme de ses vêtements sont identiques à ceux d'Actéon qui se transforme en cerf, mais les bras et les mains ont une apparence féminine.

La scène d'Actéon déchiré par ses chiens est privée de violence et de mouvement : c'est une tragédie immobile, presqu'empreinte de douceur, et cela ne vient pas d'une incapacité du peintre qui a démontré ailleurs son talent dans ce genre de scènes. C'est, à n'en pas douter, un choix délibéré de représenter Actéon et ses chiens de cette façon.


Au-dessus de la scène d'Actéon dévoré par ses chiens, ce ne sont pas des putti qui sont représentés, mais deux vrais enfants, dont l'un est un nourrisson, soutenu par l'autre, plus grand. Le bébé a un collier de grenat et tient une branche de cerises. 
Enfin, en face de la représentation de Diane nue dans la source, de l'autre côté de la pièce, on admire le portrait d'une femme très décolletée, des épis dans une main et une vase aux larges anses en volutes reposant sur un plateau dans l'autre. Ce ne sont certainement ni la curiosité ni un désir d'originalité qui ont poussé Parmigianino à faire ces choix étranges: il voulait dire quelque chose, mais d'une façon énigmatique.

On a voulu voir dans cette suite une expression de la passion du temps pour l'alchimie, passion que partageait le peintre : la pièce, sombre, petite et reculée aurait été dédiée à cette science, le maitre des lieux menant ses expériences dans une pièce de service proche. Le mythe d'Actéon a en effet été interprété comme une métaphore du procédé alchimique : principes masculin et féminin, où le chasseur Actéon, pourvu qu'il puisse s'approprier le principe divin - la déesse Diane - est disposé à se transformer de prédateur en proie, fut-ce jusqu'à en mourir.
La douceur de la punition d'Actéon évoquerait une possible rédemption par la suppression de la faculté de pêcher : Actéon, mangé par ses chiens, ne peut plus voir Diane et sa faute s'efface.


Mais surtout, on a découvert récemment un document daté du 4 septembre 1523 qui signale le baptême d'un fils de Galeazzo et Paola, fils dont il n'est plus jamais question ensuite. L'hypothèse la plus vraisemblable est que cet enfant serait donc décédé peu après sa naissance. De fait, le collier de grenats et les cerises sont des symboles de mort précoce. Voilà qui éclaire d'un jour nouveau la protestation écrite à la déesse cruelle, Actéon livré à ses chiens, et respice finem deviennent le signe d'une douleur récente et vécue comme injuste. La métamorphose de la nymphe en Actéon peut elle aussi être comprise dans le même sens : la nymphe de Diane devient Actéon dans la souffrance. Quant à la femme portant un vase en forme de cantare et entourée d'épis, elle pourrait être Demeter dont la fille Perséphone est enlevée par Hadès et passe la moitié de l'année aux enfers. Ce serait donc un symbole de maternité blessée.
Cette pièce sombre serait finalement dédiée à la mémoire d'un enfant mort en bas âge, injustice suprême, punition incompréhensible, que le bon chrétien accepte en pensant à la Rédemption et au rachat de ses fautes.
 

dimanche 26 juin 2011

L'ABBESSE DE SAN PAOLO A PARMA


Visiter Parma, c'est, inévitablement découvrir l'immense piazza della Pace et celle proche, bordée par le palazzo della Pilotta. C'est s'immerger dans la superbe galerie nationale, admirablement réaménagée, qui abrite selon un parcours muséographique passionnant, des chefs d'œuvres notables, parmi lesquels la Scapagliata de Léonard de Vinci.


A la place de la Schiava Turca de Parmiginiano, un petit carrtel indiquait son prêt à l'exposition de Torino la Bella Italia, dont les organisateurs ont sélectionné les oeuvres, à leurs yeux, les plus représentatives du génie pictural italien, pour célébrer les 150ème anniversaire de l'Unité. Selon un phénomène qui nous réjouit, au sens non péjoratif du terme, toujours fort en Italie,  les yeux a gardienne du musée qui nous expliqua cela brillaient de fierté en nous expliquant que l'oeuvre voisinait avec Giotto, Beato Angelico, Donatello, Botticelli, Leonardo, Raffaello, Michelangelo, Correggio, Bronzino, Tiziano, Veronese, Tiepolo, Bernini et tant d'autres !!

C'est flâner dans le théâtre Farnèse, d'autant plus passionnant qu'il s'inspire du teatro olimpico de Palladio et qu'il est le grand frère de celui de Sabbioneta.

Puis, quittant les quartiers dévastés par les bombardements qui ont perdu dans l'aventure une partie de leur âme, on se dirige vers le quartier du Duomo, en se laissant surprendre par cet ensemble sinon harmonieux du moins majestueux. On muse le nez en l'air et les cervicales en compote dans le baptistère aux fresques médiévales presqu'intactes, on musarde dans la cathédrale où chaque pas réserve une surprise, des fresques innombrables aux sculptures d'Antelami. Après avoir visité tout à loisir le musée diocésain, plus riche qu'on ne l'imagine, il faut laisser vos pas vous mener derrière le Duomo et là, sans plus de façon, entrer dans l'église renaissance San Giovani Evangelista. On s'y dévissera le cou un grand moment, en abreuvant les machines à sous de pièces de 1€ pour contempler tout à loisir la coupole peinte par Corrège.


Voilà, le grand maître local est découvert. Il est temps de se rendre dans un petit endroit assez reculé, situé au fond d'une impasse, et où l'on pénètre par une porte modeste et discrète. L'ancien logis abbatial du couvent des bénédictines de San Poalo, situé au bout d'une agréable allée ombragée, ne paie forcément de mine. En entrant, on se trouve confronté à une immense toile assez terne, mais tout de même impressionnante, reproduction un peu pataude de la cène de Léonard. Elle fut peinte en 1514 par Alessandro Araldi (1460-1528) et témoigne du goût de l'époque pour la peinture romaine. Son intérêt réside dans son rôle de mise en évidence de l'originalité et de l'inventivité de l'autre peintre présent dans cet ensemble : il Corregio. Car c'est pour admirer les fresques de ce dernier qu'on est venu ici.

Dans les années 1510 le couvent, récemment reconstruit, était dirigé par une abbesse raffinée et cultivée, Giovanna da Piacenza. Cette dernière était en butte avec la papauté qui prétendait imposer la clôture à son ordre et interdire à quiconque d'entrer au couvent. Or cette femme de caractère ne l'entendait pas de cette oreille et son monastère tenait plus du salon que du cloître. On y parlait poésie, littérature et religion, et quand il s'agit de décorer le petit réfectoire du couvent, elle fit tout naturellement appel à ses amis humanistes pour définir avec eux le programme iconographique de la commande qu'elle allait confier à un jeune peintre déjà fort en vogue, il Correggio.

On doit à Scipione della Rosa, administrateur de l'abbesse Giovanna Piacenza, la venue à Parme du Corregio. Antonio Allegri, originaire de la ville de Corregio située aux environs de Parma, venait de passer lui aussi quelques années à Rome et avait été impressionné par l'exemple de Léonard et de Raphaël. Mais l'influence dominante de sa jeunesse fut celle de Mantegna, lorsque ce dernier travaillait à l'église S. Andrea de Mantova. Le Corrège revint de Rome à la fin des années 1510, en ayant trouvé un style personnel, et abandonnant, selon la phrase de Mengs, " la manière sèche de ses maîtres (Mantegna) pour le style grandiose et noble qu'il suivit désormais ". Son classicisme, acquis au contact de Raphaël et de Michel-Ange, devint vivant, naturaliste, et la décoration du petit réfectoire du couvent des religieuses bénédictines de S. Paolo, peinte en 1519, en est une des premières expressions.


Le réfectoire est une pièce carrée, de taille moyenne, dont les murs étaient tendus de tapisseries, on le voit au fait qu'ils sont dépourvus de décor mais pourvus de chapiteaux peints dans la partie haute qui donnent l'illusion d'un support pour les tentures. La salle est dominée par la peinture de la hotte de la cheminée représentant Le triomphe de Diane sur son char. Au-dessus d'une frise en trompe-l'œil, à la base de la voûte, s'ouvrent 16 lunettes en grisaille, ornées de fausses sculptures et formant un véritable antiquarium humaniste : Bellone opposée aux Trois Grâces, la Fortune et la Vertu, les Parques et le temple de Jupiter, Vesta et le Génie, symbole des quatre éléments de la vie. Éclairées par une lumière artificielle qui semble venir du foyer de la cheminée, ces figures, d'une tonalité rose doré, allongent leurs ombres violacées sur le fond courbe de la niche. De ces lunettes partent les 16 tranches concaves de la voûte, sorte de tonnelle formée de 16 roseaux qui se rejoignent au centre, liés par un nœud de rubans terminés par des grappes de fruits ; la lumière du jour surgit des oculi percés dans le treillage, où apparaissent des putti joyeux. 


C'est l'abbesse Giovanna da Piacenza, conseillée par le poète humaniste Giorgio Anselmi, qui définit le programme savant et d'une grande complexité de ces fresques. Si certains n'y ont vu qu'une élégante allégorie de la chasse, d'autres ont voulu y lire une allusion plus complexe à l'évolution de la vie sociale et individuelle en ce début de XVIème siècle.  Le climat humaniste dans lequel est née la décoration de cette pièce et l’extraordinaire originalité de son programme se vérifient quand on examine les devises latines, toutes d’origine classique, qui s’inscrivent sur les fresques. 


La décoration se base sur la représentation des vertus de l'abbesse (miroir moral), des quatre éléments (miroir naturaliste) et de la divinité (miroir doctrinal). Mais surtout on lit dans le triomphe de la déesse, une allégorie de la lutte et de la victoire de l'abbesse, s'identifiant à Diane, pour rester indépendante à l'égard de la clôture que voulait lui imposer par le pape. On remarquera au passage que Diana est la déesse de la chasteté et que son nom est une sorte de transposition phonique de celui de la supérieure, Giovanna. 
Et de fait, Giovanna da Piacenza réussit à protéger son couvent : de son vivant, le pape n'osa lui imposer la clôture. Par contre, à sa mort en 1524, les portes furent refermées sans ménagement sur les soeurs bénédictines et personne n'y pénétra durant 250 ans. Ce qui fait que la fresque du Corrège, vue par certains avant cette date mais jamais depuis, resta longtemps oubliée. Elle ne fut redécouverte qu'en 1774 grâce à la curiosité et à la culture d’un grand érudit parmesan, Ireneo Affo et au peintre allemand Anton Raphaël Mengs qui visitèrent le couvent et en parlèrent avec enthousiasme.Cette semi-légende rendit l'oeuvre encore plus prestigieuse. On découvrit alors que la Camera di S. Paolo avait été une source d'inspiration pour il Parmigianino, peu de temps après, lorsque ce dernier réalisa la "Stufetta" de Fontanellato... que nous visiterons demain !


samedi 25 juin 2011

ATTENTION CHEF D'OEUVRE


- Il faut faire un billet, vite... parce qu'il ne va pas rester longtemps en salle et il faut le recommander vivement, avant qu'il ne disparaisse des écrans...
- Bon, bien chef, je me mets au travail (l'air faussement contraint de la victime consentante mais qui bougonne pour le principe !!)
- Mais tu peux faire un article très court, tu leur dis "courrez voir ce film", et puis c'est tout.

Ben voyons !! Il est marrant Alter, mais il a raison. Heureusement Danielle en avait déjà parlé avant moi et j'avoue qu'à la lecture de son billet, j'étais convaincue. Mais "La Séparation", largement primé à Berlin, est encore meilleur que prévu : certainement un des meilleurs films vus depuis longtemps.
Comme souvent dans les films iraniens, un des "protagonistes" du scénario est Téhéran. La ville démesurée, tentaculaire, sans charme apparent, tient ici encore une place non négligeable, alors que, paradoxalement c'est un film d'intérieur : voitures, appartement, tribunaux, tout se passe en huis clos mais pour autant, la ville est là, bruyante, affolante, on a parfois un peu peur de cette rumeur qui cerne les personnages. Et de fait, la scène nous est suggérée mais on n'apprendra que plus tard qu'elle a eu lieu, un des personnages du film est renversé par une voiture. Et c'est même la clé de l'histoire. Non, je ne dévoile rien, on ne peut comprendre sans plus d'indication.


Mais au-delà, c'est bien une histoire humaine qui nous tient en haleine. Traités sur un mode un peu policier, avec une sorte de mystère à éclaircir, les thèmes sont avant tout existentiels : l'incompréhension entre les êtres (ou comment gâcher irrémédiablement un couple par trop de rigidité personnelle), les injustices sociales (des inégalités de chance selon le milieu auquel on appartient), le religieux (de l'absurdité de certaines règles trop rigoristes), la morale (de la nécessité d'être honnête, et des implications des petits arrangements avec la droiture), et sans aucune lourdeur, la psychologie (comment on peut, avec les meilleures intentions du monde, exercer une pression mentale sur ceux qui vous aiment). Bref, un film riche, complet, qu'on suit avec avidité, tant chaque image est porteuse de sens, intelligente, ciselée.
Vous ajoutez à cela des acteurs absolument parfaits, tous, des premiers aux derniers rôles, jusqu'à l'éternelle belle-mère, entraperçue l'espace que quelques secondes et dont on déplore si souvent qu'elle soit aussi à côté de la plaque, ici totalement au diapason. Tous, des enfants, la petite et la grande, aux juges et aux flics, tous sont impeccables de justesse. Le montage est au top, il imprime au film un rythme irréprochable, légèrement haletant, jamais pesant, jamais artificiel. Les images sont fort belles et le cadrage ajoute à l'aboutissement du propos. La bande son enfin, est très agréable.
Et l'on est ému, touché, pris par les difficultés d'être dans laquelle se débattent les 4, voire 5 personnages principaux. Rien de manichéen dans cette approche morale de deux sujets entrecroisés, la séparation et l'éthique des relations humaines. Pas de héros et de méchant, tous sont ambivalents, maladroits, profondément honnêtes et pourtant susceptibles de déraper, de composer avec la morale. Pour d'excellents raisons qui ne sont même pas des tricheries. Il y a une approche tellement sensible de l'âme humaine, de ses circonvolutions, de ses inexplicables ratés, que tous ces personnages nous parlent comme s'il s'agissait de nous. Le jeu des regards croisés, entre les personnages, très finement saisis, mais aussi de notre propre regard, celui de la caméra, accentue notre implication dans cette tragédie humaine où la fatalité joue un rôle important. 
S'y ajoute une analyse très fine de la société iranienne, loin de la caricature ou de l'excès ou du jugement :" En raison de l’instabilité économique, nous n’avons pas en Iran de distinction de classes bien établies et on peut passer rapidement d’une classe à l’autre. Suite à la guerre contre l’Irak, beaucoup de familles aisées sont devenues plus modestes, après avoir tout perdu. Elles ont néanmoins conservé la culture et les moeurs de leur milieu d’origine. Il y a aussi beaucoup de changements dans le sens inverse, avec des personnes qui se sont rapidement enrichies sans bénéficier, quant à elles, de la culture de leur nouvelle classe sociale. La classification du niveau de vie entre classes pauvres, moyennes et riches, tiennent compte de leurs biens et de leurs revenus mais pas nécessairement du niveau de culture et des moeurs inhérents à leurs milieux respectifs." (Ashgar Farhadi, le réalisateur).



Alors, pas une seconde d'hésitation, s'il passe près de chez vous, allez vite voir La Séparation, c'est un film à ne pas manquer. Alter a raison d'insister. Et surtout, dès le début, soyez attentif(ve)s aux glaces, aux vitres qui, pleines d'un symbolisme subtil, découpent les scènes, le troublent et isolent les êtres, tout en les rapprochant.

vendredi 24 juin 2011

LA RELEVE


Les jeudis musicaux des Eglises Romanes... je vous en ai déjà parlé souvent : un très discret festival local qui nous permet, du mois de juin au moins de septembre, d'entendre dans les églises romanes du département de nombreux concerts, variés, intéressants et de qualité. Nous avons entamé cette année la 23ème édition et le directeur artistique précédent s'étant retiré, Yann Le Calvé a repris le flambeau. Il a, semble-t-il, un vrai projet pour ce festival, la volonté de le faire vivre et de le promouvoir, et son programme, dès cette année, est d'une superbe qualité. Nous avons raté Abdel Rahman El Bacha qui faisait l'ouverture à Saujon, mais hier, dans la petite église du Chay, nous avons entendu le Quatuor Alma. Monsieur Le Calvé considère que le quatuor à cordes est la forme la plus aboutie de l'expression musicale et nous ne saurions le contredire ! C'est un bonheur pour nous d'avoir un tel festival, riche forcément en quatuors !
Après avoir installé au premier rang et en grand pompe la doyenne du village du Chay, arrivée d'un pas très alerte, sans aide et sans canne malgré ses 94 ans, le concert a pu commencé.
Il faut dire que, revenant de Reggio où tant d'enthousiasme et de jeunes talents s'étaient offerts à nous, nous étions un peu inquiets. Challenge réussi : le quatuor Alma, qui a choisi son nom en hommage à l'égérie de Mahlee et de Kokoschka, joue avec une conviction qui fait plaisir à entendre. Certes le Haydn n'était pas au top, loin de là, mais il en est malheureusement souvent ainsi avec Haydn. C'est un musicien qui semble facile et pourtant, sans doute, le plus délicat à interpréter avec la légèreté qui convient. On en fait vite une sorte de ritournelle sans âme. Ajoutons, à la décharge d'Alma, que l'œuvre appartenait à l'opus 20 et n'est sans doute pas un des quatuors les plus inspirés de Haydn.

Par contre, le quatuor en sol mineur de Debussy, que nous avions entendu à Reggio, fut interprété avec beaucoup de caractère. C'est une œuvre superbe, mélange savant de tradition et de modernité, aux accents slaves ensorcelants. Et Alma a rendu avec brio le sentiment d'étrangeté et de nostalgie qui se dégage de cette pièce.


Leur dernier morceau était le quatuor à cordes n°7 de l'opus 59 n°1 de Beethoven. L'interprétation, là encore, fut très honorable, même si, vous l'avez déjà compris nous les avons préférés dans Debussy : l'oeuvre de Beethoven est exigeante, totalement sublime, on est donc très difficile ! Même si les trois premiers mouvements nous avaient pris sous leur charme. Cette petite réserve n'est ni critique ni mal intentionnée : une formation peut avoir des faiblesses, à moins que ce ne soient les auditeurs, c'est à dire nous-mêmes, qui ayons décroché sur la fin ! D'ailleurs, quand on a des talents de photographe aussi lamentables que ceux dont j'ai fait preuve hier, armée de mon malheureux téléphone portable qui, dans le noir et à distance ne peut pas faire de merveilles, on ne se permet pas de critiquer les autres !!! Allons, j'essayais juste de démontrer que j'ai bien écouté pendant tout le concert !
Autant dire qu'au total, la soirée fut très réussie et que nous attendons beaucoup de plaisir des concerts à venir.

jeudi 23 juin 2011

ACTION - REACTION !!


Un blog vit par ses lecteurs, et il s'épanouit par ses commentaires. On connait tous ce petit mot sur lequel on peut cliquer pour envoyer un avis, une appréciation, l'expression de son plaisir ou de son déplaisir. L'affaire parait la première fois compliquée et certains sont rebutés par la nécessité de s'inscrire, mais dès lors qu'on s'est créé un pseudo, tout devient facile. J'ai, quant à moi et depuis plusieurs semaines, des difficultés avec certains blogs sur lesquels je ne peux pas laisser de commentaire sous mon compte Google et pour lesquels j'ai trouvé la "feinte" de l'anonymat signé. Allez savoir pourquoi, le choix "anonyme" n'existant pas partout, je suis ainsi interdite de commentaire sur certains, Idées Heureuses en particulier.
Beaucoup de lecteurs réguliers et fidèles s'abstiennent de laisser le moindre mot, discrets mais invisibles. D'autres préfèrent envoyer un mail si l'auteur du blog a prévu cette possibilité. Bref, le commentaire est le lien visible, mais, nous le savons, reste la part cachée de l'iceberg. Ou, si l'on préfère, sa partie "comm".
S'il est de bon ton de railler, à juste titre, les commentaires du style "j't'en fais un, tu m'en fais un à ton tour", auxquels nous avons tous succombé un jour ou l'autre, il faut avouer que ce genre d'exercice ne mène jamais bien loin. L'appel du pied, invite pas toujours très discrète, se révèle vite d'une pauvreté d'échanges affligeante et qu'on préfère alors laisser tomber.
Le commentaire idéal est celui qui, non contraint par un désir de visite réciproque, jaillit spontanément à la fin de la lecture d'un billet : on sent à son contenu qu'il n'est pas une simple visite de courtoisie. Amusement, question, rebondissement sur le thème, il se trouve le plus souvent après les billets d'humeur ou d'humour., ou des anecdotes personnelles qui éveillent un souvenir chez celui qui les lisent. Les recettes de cuisine, les photos, les critiques de film ou de livre, les récits événementiels ne le favorisent guère.
Quant au commentaire rêvé, il est écrit par un auteur qui n'a pas de blog de son côté, on sait alors qu'il est parfaitement désintéressé !!


Or ce lien, situé en dessous de chaque article, est personnalisable : si la plupart des blogs restent classiques et gardent le mot "commentaire", d'autres l'ont changé pour une expression, une invite plus proche de l'esprit de leur blog :  cela va de "Qu'en pensez-vous ?" à "les heureuse idées", en passant par "les épicurismes", "les petits mots", "les petits plus pour pimenter le tout", ou "les pincées d'épices"*...
J'ai quant à moi choisi "réaction". Bon, c'est un peu formel car mon blog est rarement polémique, mais je l'ai fait sans trop réfléchir, juste pour poser ma marque de fabrique. En y réfléchissant, je me disais que j'allais essayer de trouver plus original... Plus en lien avec "Bon Sens et Déraison". Grain de folie ? Sentence ?? Verdict ??? bof, rien de m'inspire et ce serait pompeux. Réaction est décidément ce que j'espère de mes lecteurs et le mot fera l'affaire.
J'en suis là de mes réflexions quand une de mes lectrices, que la discrétion m'empêche de citer, m'envoie un mail et me dit "en ce moment, je me livre à une oisiveté active". Et moi de lui répondre, dans la foulée "c'est marrant, je me sens en phase d'activisme oisif". Avouez que c'est bien une évidence, action, réaction !! Même si cet activisme débouche sur ce qui peut apparaître, à la lecture de ce blog, comme un stakhanovisme culturel, fortement accentué par l'emballage (les billets donnent beaucoup d'importance à de petits faits qui sont souvent bort banals), c'est un peu ce qui sous-tend ce blog : la mise en valeur de faits insignifiants, pour en parler, pour susciter la curiosité, entrainer l'adhésion, la critique ou simplement faire jaillir des souvenirs, des anecdotes. A l'usage, le plus important du blog, ce sont ces commentaires, vos réactions à certains billets qui ont évoqué chez vous des nostalgies, des clins d'œil, des réminiscences. Par exemple, votre état d'esprit en ce moment c'est plutôt "oisiveté active" ou "activisme oisif" ???

Poème de Pessoa dédié par Alter à Siù, qui comprendra :

De l'art de bien rêver
Ajourne tout chose. On ne doit jamais faire aujourd'hui ce qu'on peut aussi bien négliger de faire demain.  Il n'est même pas besoin de faire quoi que ce soit, ni aujourd'hui, ni demain.

Ne pense jamais à ce que tu vas faire. Ne le fais pas.

Vis ta vie. Ne sois pas vécu par elle.


* Pour savoir qui les utilise n'hésitez pas à cliquer !! Mais essayez de deviner avant !!

mercredi 22 juin 2011

LE CHEF JARDINIER* : à propos d'ATYS à Bordeaux

 
Les engouements du public pour ce que la presse et les médias déclarent « événement incontournable » restent pour moi un mystère. Arriver à captiver une salle entière pendant près de 4h sur des récitatifs un peu pesants, une histoire carrément indigente et quelques rares airs assez peu virtuoses, cela a un côté surprenant qui me laisse aussi pantoise que les grandes foules qui se pressent devant des toiles parfois malhabiles ou des sculptures ratées au motif qu’il « faut en avoir été ». Cela a du bon car ces frénésies collectives permettent des débauches de moyens et produisent, toujours, des manifestations d’une qualité que la confidentialité n’aurait pas permis. Mais le côté « standing ovation » est toujours un peu ridicule. Il faut s’extraire des picotements mentaux que cela entraine et ne pas sombrer dans l’anti-snobisme primaire !
Atys de Lully, recréé avec maestria par le tandem Christie-Villégier est de ces événements qu’on aurait regret de rater. D’autant que tout concourt à en faire un moment mythique. Le spectacle, créé en 1986 au Teatro Metastasio de Prato, à une époque où les baroqueux, leurs petites voix et leurs instruments désaccordés, n’avaient pas le vente en poupe, a été repris à de multiples reprises, dont à Paris et Versailles, drainant un nombre incroyable de spectateurs enthousiasmés par ce retour aux costumes d’époques et aux perruques poudrées. L’esprit Grand Siècle fascine avec toujours autant de constance les enfants de la Révolution Française. Enregistré, diffusé, loué, il est entré dans la légende.
Sa reprise, 25 ans après, est elle-même de l’ordre du fabuleux : c’est en 1987 à Versailles que Ronald P.Stanton, américain fortuné dirigeant une grande entreprise internationale,  vit l’opéra de Lully pour la première fois. Enthousiasmé par le spectacle, il a souhaité il y a environ 3 ans rencontrer William Christie et lui a confié son souhait de « revoir Atys avant sa mort ». La formule a fait mouche, c’est évocateur ce « sentant sa fin venir » vague remake de La Fontaine ! Assez fortuné pour assumer le coût de la production il a créé ainsi, avec une candeur sans doute sincère, le buzz du petit landerneau des amateurs de musique classique. Voire des autres car, dans ces cas-là, on se pousse même si Chopin vous endort et que Bartok vous donne des boutons.
Pourtant, tout mélomanes que nous soyons, il faut bien avouer que la partition est austère et qu’on a du mal à ne pas étouffer quelques bâillements. En effet, comme le disait avec discrétion mais franchise un charmant monsieur qui avait atteint l’âge où l’on peut s’offrir le luxe d’être sincère sans pour autant passer pour un sauvage « C’est magnifique mais qu’est-ce que c’est ch… ».


Un spectacle total, musique certes, mais aussi danse, la chorégraphie était superbe et enfin théâtre car l’intrigue, toute désuète qu’elle soit, importe beaucoup dans l’affaire. A preuve, l’ennui provoqué par le prologue disparait peu à peu dès lors qu’on est rentré dans le sujet. Et, d’un spectacle mondain auquel il est de bon ton d’avoir assisté, même si l’on s’y est rasé ferme, et qu’on  l’a applaudi d’autant plus fort qu’on avait besoin de se secouer à la fin, l’intelligence de la mise en scène, l’intégration réussie de la danse, l’excellence de l’esthétique et une collection de costumes à faire pâlir d’envie un musée de la mode, sont autant d’atouts pour faire de cette production un spectacle captivant.

Après un prologue aux teintes douces et pastelles, le rideau de fond de scène s’abat brutalement au sol et les 6 décors voulus par Quinault sont résumés avec une grande efficacité par Villégier en un seul : un vestibule de tragédie,  marbre sombre et veiné de taches de Rorschach, animé par quelques changements de mobilier : trône, banquettes, torchères, consoles... Villégier a choisi de reproduire les fastueux mobiliers d’argent des Grands Appartements, donc en 1689 pour financer la guerre de la ligue d’Augsburg. Cela donne l’impression d’être conviés à quelque soirée royale, et même s’il sait que ces reconstitutions sont pour partie inventées, le public adore être reçu à la Cour. 


La musique, quant à elle, est écrite dans un style austère : beaucoup de récitatifs, peu de moments où l’orchestre soit entièrement mobilisé. Et si les chœurs viennent parfois réveiller le chef et nos sens engourdis, l’absence de modulations séduisantes ou d’arias brillants rend l’ensemble très sobre. D’autant plus frugal que l’œuvre est sombre et baigne dans une atmosphère nocturne qui n’est pas due seulement à la longue scène du sommeil !
Sur l’interprétation de William Christie, on ne peut que saluer le travail, réalisé en amont, il y a de cela 25 ans pour retrouver la partition, recréer le continuo, reconstituer l’orchestre de Lully et ainsi, faire revivre Atys. Travail aussi, qui dure depuis cette époque sur la musicalité de la langue, le respect de la prononciation et la clarté de la diction, données qui semblent évidentes aux jeunes mélomanes mais qui n’étaient pas acquises en ce temps-là. Le plus improbable salmigondis de sons suffisait à enthousiasmer le public pour peu qu’il fut puissant et virtuose ! On exige aujourd’hui de comprendre les chanteurs, et nous avons pu suivre l’intrigue compliquée à peu près sans effort. Que l’on songe : ce changement, impulsé par Christie et qui s’appliqua en premier lieu dans le petit monde original des baroqueux, est maintenant de mise dans tous les spectacles lyriques. A tel point que le nouveau prix Régine Crespin (Long Thibaud) prévoit, pour les concurrents qui auront choisi des œuvres françaises, un prix spécial de diction et de prononciation, initiative qui me semble une évolution remarquable et qui relègue au magasin des accessoires poussièreux les chanteurs 


Certes, toute aficionada de Christie que je sois, je dois bien avouer que la petitesse des voix m’a laissée un peu sur ma faim. En fait, Christie est un passeur, un jardinier (oui GF) qui cultive les talents dès lors qu’ils sont élégants, qui transmet et partage. C’est là sa vertu principale : il sacrifie le brillant à la passion et il a raison. Ça paye aussi sur le long terme : avec lui, combien de choristes sont devenus solistes ou d’instrumentistes chefs d’orchestre. N’est-ce pas finalement le plus important, cette mission de transmission ? La direction était fluide, comme toujours avec Christie, les sons pleins et amples, et si certains lui reprochent son manque de prégnance sur l’ensemble, cela tient à sa conception de la création musicale. Son continuo est maitre à bord, et des années de travail au coude à coude avec Brian Feehan expliquent cette collaboration constructive. Il laisse les solistes bâtir leur personnage en fonction de leur personnalité et il invite sa jeune promotion du « Jardin des Voix » à interpréter le prologue. Il dirige les chœurs d’une baguette ferme et précise qui, à Bordeaux, leur a donné un éclat particulier. On peut ensuite critiquer sa direction, la trouver molle ou pas assez autoritaire…Ce qui importe plus que tout, me semble-t-il, est sa conception de la musique, son respect de la partition, son inventivité sur les vides, nombreux, de cette dernière, et l’étroite symbiose qu’il permet entre tous les acteurs du spectacle et l’œuvre musicale.

C'était à Bordeaux, après Paris et Caen... il vous reste deux concerts possibles : à Versailles les 15 et 17 juillet, s'il reste des places...

* Petit clin d'oeil à GF, à propos de son commentaire à l'article sur le jardin de William Christie

mardi 21 juin 2011

SABBIONETA

Atterrissage tardif à Bologne, une sympathique chambre d’hôte à deux pas de l’aéroport, et un petit cabriolet gracieusement offert par Avis pour le prix d’une voiture bas de gamme. Que demande le peuple ? On fait quoi ? Ben, ce cabriolet faut en profiter un peu, on a envie de rouler les cheveux au vent, pas question d’aller s’enfermer dans des musées… On va à Modène ? Oui, non... y a trop de musées… Et puis, on a réservé une autre chambre d’hôte aux environs de Parma, on y va par le chemin des écoliers et on verra.


On a vu !! On a vu que sur notre chemin se trouvait Sabbioneta et on y a passé un temps fou ! Et cela en valait la peine.



Pendant que la France est empêtrée dans les Guerres de Religion et que l'Espagne se débat avec la Guerre des Flandres, Vespasien Gonzague va "faire du lèche" auprès de Rodolphe II et revient de Vienne avec le titre, ô combien prestigieux à ses yeux, de duc de Mantoue. Et là, il ne "se sent plus péter", il décide de construire ex nihilo une sorte de cité idéale, et il en profite pour écrire partout qu'il est duc : sur les façades de ses palais, sur les cheminées, sur les linteaux de porte ! Il ajoute à son palais une galerie démente, qui ne mène nulle part et qu'il envahit de trophées de cerfs que lui offre je ne sais plus quel puissant, il ajoute pour faire bon poids des statues antiques grapillées de ci, de là, et en fait un vrai capharnaüm. Ensuite, il réinvente le théatre ! Pour notre plus grand bonheur d'ailleurs...

Voilà comment Alter me racontait l'histoire pendant que nous nous reposions sur la place d'armes de Sabbioneta, mais ne vous y trompez pas, il était bluffé Alter, car cette ville conçue par la volonté d'un érudit n'a rien de prétentieux ou de clinquant, c'est une pure merveille !

On entre à Sabbioneta par une des deux portes monumentales de la Sabbionetana, la route qui relie la ville à Mantoue. Vespasien de Gonzague avait seulement 13 ans quand il fut envoyé en Espagne, en 1544, à la cour impériale de Charles V pour être page d'honneur de l'infant Philippe. Des études d'architecture militaire, menées parallèlement à une éducation classique et humaniste, lui donnèrent le goût de l’architecture et le désir de construire une ville à mesure humaine. Il la commença vers 27 ans et y consacra le reste de sa vie. Il choisit le vieux bourg médiéval de Sabbioneta dont il « déplaça » les maisons anciennes qui le gênaient dans son projet : un plan orthogonal devait permettre d’avoir de toutes parts une vue ordonnée et harmonieuse. Autour des défenses en étoiles, aux bastions assez bas mais élégants, donnèrent à la ville une allure de forteresse harmonieuse. Au centre, le Palazzo Grande, qui n’était pas encore palais ducal, était destiné à l’administration et au gouverment, voisinant avec l’église Santa Maria Assunta, église principale de la ville. La ville comptait par ailleurs de nombreuses écoles et une académie d'humanités.


De 1565 et 1590, Vespasien coordonna les travaux et organisa les implantations successives des édifices. C’est en 1577 que, grâce à la volonté de l'empereur Rodolphe II, la nouvelle principauté prit le titre de duché, avec ses propres armoiries. Un château - dont il ne reste plus grand trace aujourd'hui - abritait les appartements privés de Vespasien, tandis qu’un palais dit « Giardino » était réservé à la vie sociale : on y recevait les hôtes, on y organisait les fêtes, et Vespasien le dota d’un studiolo où il se retirait pour lire. Il aimait aussi à collectionner des reliques, des objets d'art et des raretés naturelles. C’est pour exposer ses trésors qu’il conçut la fameuse galerie longue de 96 mètres, qui ne menant nulle part, semble déboucher sur le vide !

Dans le palais, chaque pièce porte un nom et ses murs sont peints selon un thème. La salle des Mythes met en scène Dédale et Icare, Arachné et Minerve, Apollon écorchant vive Marsyas. Toutes ces fresques célèbrent la grandeur de Rome et de la culture classique. Comme la salle des Cirques, où sont représentés le cirque Maxime et le cirque Flaminius, ou encore le cabinet privé du duc - excellent connaisseur, entre autres, d'Ovide, de Plaute, de Térence et de Plutarque -, décoré de fresques représentant des personnages de L'Enéide. Le couloir d'Orphée ressuscite les aventures de l'inconsolable époux d'Eurydice et de sa descente dans l'Hadès.

En traversant le spacieux salon des Miroirs, le plus emblématique de tous, parfait pour les concerts et les danses, on croise l'ombre des jeunes filles, qui pour se parer, pouvaient se réfugier dans le petit cabinet des Trois-Grâces, lieu de recueillement de la gent féminine. Partout des stucs splendides et luxueux, autrefois lamés d'or, et des fresques hautes en couleurs.

Devant le palais, d’allure extérieure assez modeste, se développe une vaste place d’armes où se déroulaient joutes, parades militaires, tournois et courses qui animaient la vie de la cour. Une colonne surmontée d'une statue de Pallas (que l'on fit venir de Rome) se détache au centre.


Soucieux d’asseoir sa légitimité sur une généalogie prestigieuse, Vespasien fit réaliser des bustes de couples de la dynastie tout entière dans la salle des Aïeux du Palais Ducal. Non content d’en orner les plafonds d’armoiries de noyer et de cèdre sculptés, dorés et décorés de stucs, il fait réaliser un manège géant à la gloire de sa famille. La Cavalcata est une théorie de statues équestres qui reconstitue, avec armures et insignes de pouvoir, une ascendance qu'il désire la plus glorieuse possible. Il pare tout ce beau monde de vertus guerrières éclatantes et conduit dignement la chevauchée ! 4 de ces statues ont survécu à l'incendie qui les ravagea et trônent maintenant dans la salle haute du Palais. C'est impressionnant !


En 1588 il ne manquait qu'une chose à cette ville idéale : un théâtre. Vespasien fit alors appel à l'architecte Vincenzo Scamozzi, élève de Palladio, qui conçut et construisit, entre 1588 et 1590, un "théâtre olympique à l'antique". La structure est celle, traditionnelle, des théâtres classiques, avec des gradins en bois disposés en amphithéâtre et, en haut, face à la scène, une magnifique colonnade surmontée de statues représente les divinités olympiennes. Latéralement, deux grandes fresques célèbrent une fois de plus Rome : d'un côté, la place du Capitole, de l'autre, le château Saint-Ange.

La particularité de ce théâtre est que le lieu est complètement fermé. Sur la scène, qui est fixe, le spectateur revoit les palais de Sabbioneta (une reconstruction réalisée en 1996 sur la base des descriptions de Scamozzi).

A la mort de Vespasien, en 1591, le duché de Sabbioneta revint en héritage à sa fille Isabelle, qui ne parvint pas à maintenir l'esprit et la vitalité insufflés par son père. Commença pour la ville une longue période de déclin : le château fut rasé, les palais furent dépouillés de leurs richesses, la galerie des Antiquités fut même utilisée comme dortoir pour les soldats. La "ville idéale" n'était plus qu'un souvenir. Ce gros bourg endormie où le temps s’est arrêté est une halte incontournable pour qui voyage dans la vallée du Pô : mise en œuvre des théories de la Renaissance sur la cité idéale, elle a le grand mérite d’avoir été menée à bien par un érudit enthousiaste et opiniâtre, qui nous a laissé un chapitre vivant d’urbanisme qui, à lui seul, vaut le détour. Ce lieu d'élection débordant à la Renaissance de vie, de fêtes et de bals, de lectures et de conversations, est aujourd’hui d’un calme rare, bien qu’ayant été inscrit il y a peu au patrimoine mondial de l’Unesco. Il vaut aller le visiter bien vite !

Une exposition d'art cotemporain sous les ors du Palais Ducal !
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