lundi 28 février 2011

CONCOURS DE CIRCONSTANCES

Fragments de mémoire et Licorne de septembre (Jephan de Villiers 1994)

Je venais à peine d'achever mon article intitulé CAPOERA qu'une balade fut décidée. Ponge d'une main, nos makhilas dans l'autre, nous voilà partis. En chemin, Alter, toujours curieux, voulut savoir ce que contenait mon prochain article. Il s'emmêlait un peu les pinceaux entre mes délires d'arts martiaux et l'association qui compte les capsules, mais à la première plage, il abandonna mes explications foireuses pour brandir triomphalement un objet mystère. Nous en trouvâmes trois ou quatre, avant d'aller rejoindre notre balcon sur l'estuaire pour la lecture rituelle, consacrée en ce moment au "proète de l'objeu" , dont je vous reparlerai sous peu.
Puis, il faisait encore beau, nous décidâmes de rejoindre la plage suivante, pour allonger un peu la balade. Au retour, un homme penché sur la laisse de mer, un seau noir à la main, remplissait régulièrement son ustensile en marchant à pas lents.
- Qu'est-ce qu'il ramasse ? des capsules ??
- Non, il n'y en a pas autant...
- Tu ne vas me dire qu'il nettoie la plage ?
- ??

- Bonsoir Monsieur, vous récoltez les capsules d'œufs de raie ??
- ???ah ! vous connaissez ?
- En fait depuis aujourd'hui. Avant, nous pensions que c'étaient des algues, mais une dame recontrée ce matin et  dont le fils vient avec son instituteur de Saint Palais les ramasser à Meschers, nous a appris ce matin que c'était des enveloppes d'oeufs de raie.
- Ah, cela doit être la maman d'un de mes élèves.
- Alors vous faites partie de la CAPOERA !
- Vous connaissez aussi ?
- Ben oui, il nous a bien fallu nous documenter sur ces bourses de sirène !

Mémoires océanes (Jephan de Villiers 2000)

Et ce délicieux résultat des nostalgies soixante-huitards, matiné d'écologiste, tenant de la bio-diversité, affublé d'une barbe qui faisait paraître celle d'Alter austère, d'une tresse qui lui descendait jusqu'en dessous du ventre et d'un bonnet de marin du rouge le plus flamboyant, nous a appris plus encore que Google et l'APECS réunis. Il vient de Saint Palais ramasser les capsules de la plage de Suzac, de loin les plus nombreuses et les plus diverses du site. Passionné par son sujet, il était incollable, nous a montré les différentes espèces identifiables dans son seau, qui contenait déjà une bonne centaine de capsules. Il fait partie de l'association qui promeut le programme de récolte CAPOERA et nous a affirmé que, toute flagornerie mise à part, le site de Suzac est sans doute l'endroit de France, non, du monde où l'on trouve le plus d'enveloppes d'oeufs. L'an dernier, deuxième année de ramassage régulier, l'association a récolté entre Talmont et Saint Palais environ 23 000 capsules, dont environ 20 000 sur la seule plage de Suzac. En 2010, l'essentiel de la récolte s'est fait selon deux pics, un en novembre-décembre, l'autre en avril. Or cette année, hiver rigoureux aidant, l'allure de la courbe a changé : beaucoup moins de rejets en décembre, mais un mois de février 2011 stupéfiant : déjà 19000 capsules sur la côte royanaise. Notre instructeur riait aux éclats en nous racontant la déconvenue des collègues bretons lors de la sortie organisée en mer d'Iroise : 325 capsules pour tout brouet. Le week-end suivant à Suzac, ils en trouvèrent près de 4000.
Pourquoi une telle concentration à cet endroit ? On n'est pas encore en mesure de l'expliquer même si des hypothèses sont avancées : la présence de l'épave du Condé juste en face de la plage permet sans doute aux raies de frayer à l'aise et avec générosité. La turbidité des eaux leur permet sans doute d'être encore plus à l'aise dans leur projet de reproduction.Si l'on ajoute à cela qu'à cause des nombreuses épaves qui jonchent l'estuaire à cet endroit, on n'y pratique aucune pêche au chalut, et que l'endroit s'orne d'une profonde fossse d'une trentaine de mètres qui permet les remontées musclées des eaux de l'Océan, on pourrait dans tous ces arguments trouver quelques raisons à cet exceptionnel peuplement supposé de raies fréyantes.
Il nous convia ensuite à venir, au printemps, visiter l'exposition que l'association organisera à Royan sur les capsules, les raies et les différentes formes de pêches pratiquées traditionnellement sur l'estuaire. Un artiste belge doit, nous dit-il, y présenter ses compositions qui utilisent ces enveloppes noires comme matière première.

Métamorphoses nocturnes (Jephan de Villiers 2001)

Jephan de Villiers travaille uniquement avec des matériaux naturels, écorces, branchages, coquilles vides. Son travail, qui tient autant du land-art que de la peinture ou de la sculpture, s'organise autour de thèmes oniriques, aux titres enchanteurs. Pour se procurer les capsules d'oeufs de raies dont il a fait quelques compositions, il a recours à une correspondante new-yorkaise qui les lui récolte à Long Island. Il a une résidence secondaire du côté de Mirambeau, et notre "marin" barbu s'amusait déjà de la surprise qu'il aurait le lendemain, quand il irait lui porter les 4000 coques déjà triées qui s'entassaient dans son coffre.
Car une fois les coques récoltées, commence un vrai travail de bénédictin, identification, comptage, enregistrement de l'état, de la plus "neuve" à la plus déchiquetée, plus souple et provenant forcément d'une ponte plus ancienne, en passant par la notation de celles qui ont été abîmées par des prédateurs, mollusques ou poissons. Ce sont ces relevés statistiques, particulièrement riches sont sur le site de Suzac, qui permettront de mieux connaître et donc de mieux défendre les raies qui se reproduisent forcément dans nos eaux.
- Mais alors, la raie est un poisson commun ici ??
- Justement pas tant que ça. On en trouve assez peu sur les marchés car les gens lui préfèrent la sole ou le maigre. Pourtant si l'on en croit l'inventaire établi au début du XVIIIème siècle par l'inspecteur des pêches Le Masson du Parc, la raie était déjà bien répertoriée et prospère sur nos côtes vers 1720. Passionnant cet inventaire, car l'inspecteur en question a réussi à si bien se faire admettre des pêcheurs qu'il a même pu recenser des techniques prohibées, d'ailleurs encore en usage aujourd'hui !

Assis au pied des bâtons du vent j'ai rêvé d'un enfant qui portait la forêt sur son dos (détail)

Toujours merveilleux de rencontrer des passionnés, surtout quand ils sont, comme notre interlocuteur, cultivés et savants, le terme n'est pas trop fort. Mais tout compétent qu'il soit, le vendangeur de capsules de Saint Palais ne trouvera jamais la vraie raison de l'accumulation de ces coques noires sur la plage de Suzac. Raison que je vous livre sous le sceau du secret, bien entendu ! Chacun sait que Meschers est un repère vivace de sirènes en tous genres, fait avéré pour tous les pêcheurs de carrelets qui entretiennent à grands frais leurs baraques, rien que pour le plaisir d'en capturer une de temps à autre dans leurs filets. Or, ces sirènes sont insouciantes et fort dispendieuses : elles égarent souvent leurs bourses dans les eaux sombres de l'estuaire. Quand c'est sur nos plages, elles les retrouvent vite, mais quand les marées et le courant s'en mêlent, les bourses s'échappent vers les plages suivantes : c'est ainsi qu'à Suzac, située à la limite entre Meschers et Saint Georges s'accumulent, pour la plus grande joie des écolos de tous poils, ces petits sacs noirs énigmatiques. Vides, malheureusement, car nos coquettes ont tout dépensé.

Le site exploré par Monsieur Capoera

Le jour de notre promenade : avouez qu'il y a quelque chose d'étrange dans le comportement de nos sirènes

dimanche 27 février 2011

CAPOERA


Mais non, je ne vais pas vous parler de cet art martial afro-brésilien aux chorégraphies surprenantes dont vous avez sans doute admiré quelque jour les étonnantes évolutions, qui tiennent plus de la danse que de la bagarre. Je n'ai pas la souplesse de pratiquer de telles figures et, après le tango, nous n'avons pas opté pour la capoeira ! Ce billet vient répondre à la "photo mystère"...

Cétait une "bourse de sirène", autant dire une capsule d'oeuf de raie ! Les raies, plus de 600 espèces de par le monde, sont très difficiles à observer, tant elles vivent profond. Elles sont de taille et d'allure diverses, et ont pour point commun une étonnante longévité : ainsi la raie Manta, la plus grande des raies dont l'envergure atteint parfois les 7 mètres, peut vivre 85 ans. Sans le secours de la médecine !
Ce n'est qu'à la période de reproduction que certaines espèces se rapprochent du bord et pénètrent même dans les golfes, sur des hauts fonds sablonneux ou sablo-vaseux. Certaines sont vivipares mais il en existe aussi d'ovipares, en particulier sur les côtes françaises. Plusieurs mois après la ponte, une raie miniature va sortir de chaque capsule. Après cette éclosion, la capsule vide, très résistante, finit par être rejetée sur le rivage et se retrouve souvent dans la laisse de mer, ce cordon situé en haut de plage et formé de débris naturels et de macro-déchets d’origine humaine. Une fois à la côte, les capsules vides sont autant d’indices de la présence des raies fréquentant notre littoral.
Le programme Capoera invite le grand public à collecter les capsules d’œufs de raies échouées sur les plages puis à transmettre les informations à l’association pour l’étude et la conservation des sélaciens (APECS). L'objectif de cette association est double. Il permet d'abord d’améliorer les connaissances sur la localisation et les aires de reproduction de certaines espèces de raies.



Par ailleurs, il permet la sensibilisation du public à la présence près de nos côtes de ces poissons dont certains représentants sont en fort déclin. c'est simple, ludique et vous trouverez, si vous habitez sur la côte océane, forcément un point de collecte des capsules à proximité de chez vous ! Sinon, vous pourrez envoyer vos récoltes à l'APECS grâce aux instructions données sur le site. Voilà un programme pour le printemps qui va, le temps d'une chasse aux oeufs de Pâques, réconcilier tous les blogs des rivages de l'Atlantique !


Alors la palme revient à Odile qui a, très précisément, identifié l'objet mystère que vous avez joyeusement baptisé de string pour l'hiver, de transat écrasé, de chauve-souris aveuglée ou de dentelle déchiquetée. Mabeline quant à elle, hésite entre roussette et raie, ce qui la rapproche pas mal de la solution, d'autant qu'elle précise bien que c'est la poche qui contenait l'oeuf. Mention spéciale à Oxygène et Enitram qui, on le vérifie sans peine, ont déjà croisé ces bourses de sirène sur leurs plages, mais, trop romantiques, y voient des oeufs, et de requin de surcroît !! Merci de votre participation et bravo à tous ceux qui ont identifié la photo mystère et, pour tous, une conclusion qui ne vous laissera pas indifférents :

Une nature semi vivante, semi morte... A gauche, le chat, hérissé, un peu excité par ces odeurs de mer et de varech, titille du bout des pattes des huîtres à peine ouvertes, donc vivantes elles aussi. A droite, les attributs habituels d'une vraie nature-morte : pichet de céramique noire et brillante, couteau étincelant à peine dissimulé par un drap d'une blancheur suspecte, bassine de cuivre aux couleurs chaudes. Entre les deux, reprenant par sa forme triangulaire les masses en forme de pyramides imbriquées qui la côtoient et assurant la transition entre l'animé et l'inanimé, la raie, pathétique et sanguinolente, rythme cette toile mythique à laquelle elle donne son nom. Une vraie démonstration de lumière et textures mêlées, une peinture qui fait partie de nos cabinets secrets ! Certains ont voulu y voir une symbolique de la crucifixion, je préfère quant à moi, la célèbre description qu'en fit Proust, qui n'hésite pas à mêler à son texte cette référence incertaine :
« Maintenant venez jusqu'à la cuisine dont l'entrée est sévèrement gardée par la tribu des vases de toute grandeur, serviteurs capables et fidèles, race laborieuse et belle. Sur la table les couteaux actifs, qui vont droit au but, reposent dans une oisiveté menaçante et inoffensive. Mais au-dessus de vous un monstre étrange, frais encore comme la mer où il ondoya, une raie est suspendue, dont la vue mêle au désir de la gourmandise le charme curieux du calme ou des tempêtes de la mer dont elle fut le formidable témoin, faisant passer comme un souvenir du Jardin des Plantes à travers un goût de restaurant. Elle est ouverte et vous pouvez admirer la beauté de son architecture délicate et vaste, teintée de sang rouge, de nerfs bleus et de muscles blancs, comme la nef d'une cathédrale polychrome. À côté, dans l'abandon de leur mort, des poissons sont tordus en une courbe raide et désespérée, à plat ventre, les yeux sortis. Puis un chat, superposant à cet aquarium la vie obscure de ses formes plus savantes et plus conscientes, l'éclat de ses yeux posé sur la raie, fait manœuvrer avec une hâte lente le velours de ses pattes sur les huîtres soulevées et décèle à la fois la prudence de son caractère, la convoitise de son palais et la témérité de son entreprise. L'œil qui aime à jouer avec les autres sens et à reconstituer à l'aide de quelques couleurs, plus que tout un passé, tout un avenir, sent déjà la fraîcheur des huîtres qui vont mouiller les pattes du chat et on entend déjà, au moment où l'entassement précaire de ces nacres fragiles fléchira sous le poids du chat, le petit cri de leur fêlure et le tonnerre de leur chute"
Texte écrit vers 1895, mais publié pour la première fois en 1954; éd. utilisée : 1971, p. 375-376


A suivre ...

samedi 26 février 2011

... ET AUTRE RECETTE BORDELAISE

En attendant la solution de la photo mystère, la suite de notre errance culinaire


... Le boucher de Bages Yves Bruneau, vendait outre ses greniers médocains parfaitement aromatisés, de l'agneau des Pyrénées, du cochon noir du Pays Basque et du boeuf de Bazas. Comment résister ? Nous sommes revenus, nous les mangeurs de poissons, chargés de viandes et de charcuterie, tant il est bon parfois de redevenir des carnivores ! Le boeuf de Bazas est en pleine renaissance et des chartes de qualité ont permis à cette viande savoureuse de retrouver ses lettres de noblesse. C'est devenu un incontournable des brasseries qui se respectent en Aquitaine ! Les bêtes sont affinées une dizaine de jours en chambre froide avant d'être vendues, afin de permettre au gras d'envahir la fibre musculaire, donnant à la viande une oncuosité peu commune.
Quant à la recette de l'entrecôte à la bordelaise, elle est encore plus simple que celle de la rapée. Il vous faut une viande de qualité, et si vous ne trouvez pas de boeuf gras de Bazas, essayez d'obtenir de votre boucher qu'il vous taille un morceau savoureux, sorti de ses frigos secrets. C'est lui qui fait tout le travail en fait. Il ne vous restera qu'à faire blondir et fondre doucement une quantité respectable d'échalotes grises taillées fin, puis d'ajouter une rasade de bon vin rouge (celui que vous boirez avec l'entrecôte fera très bien l'affaire, surtout si c'est un vin de choix). Vous laissez réduire tout doucement pendant que la viande grille, et j'avoue que j'y ajoute, touche perso, une petite trace de coulis de framboise surtout non sucré, prévu pour la cuisine. Cela rehausse le goût du vin sans le trahir. Vous servez votre sauce à côté de l'entrecôte pour les puristes, ou simplement dessus pour les autres ! Ainsi elle ne refroidit pas ! Et le flacon qui accompagnera ce plat naturel devra venir des étagères nobles de votre cave !

Pour accompagner ces mets roboratifs, et aussi inaugurer son panier à bouteilles acquis chez Nat'Osier, Alter a fait une descente à la cave et nous a ramené ce panier, avec un intrus... afin que vous ne vous fassiez pas piéger comme moi, je vous ai mis un détail de la photo !!

vendredi 25 février 2011

PHOTO MYSTERE


Avant de vous faire un petit billet sur le sujet, je vous propose la photo mystère du jour... je ne publierai vos commentaires que tardivement, car j'imagine que certains vont trouver tout de suite et cela gâcherait la recherche des autres !!

jeudi 24 février 2011

LA RAPÉE STÉPHANOISE ...


C'est le billet de Sacha, consacré à la recette d'un gâteau de pommes de terre qui m'a mis l'eau à la bouche. Cela m'a rappelé une recette d'enfance que pratiquait maman avec un tour de main indéniable et qu'elle appelait "râpée". Comme beaucoup de recettes familiales, celle-ci est d'une simplicité confondante et fort économique. Elle a un goût très particulier que la modestie des ingrédients en jeu ne laisse pas présager. Il doit se passer une alchimie particulière entre l'oeuf et la patate crue, qui explique cette saveur.

Cela n'a strictement rien à voir avec une omelette aux pommes de terres. Le goût en est vraiment différent. Je ne sais pas quelle est la meilleure espèce de pommes de terre à utiliser. J'ai quant à moi mis des Agatha, qui font parfaitement l'affaire. On pèle les tubercules puis on les râpe avec une simple râpe, ni trop fine ni trop épaisse ! J'ai essayé la râpe à parmesan mais cela ne marche absolument pas, le résultat est une purée infâme ! Il vaut mieux une bête râpe à carottes, petit format. On mélange la mixture ainsi obtenue, qui peut très bien avoir l'air un peu "liquide", et qui tourne au verdâtre si on la prépare trop à l'avance, avec des oeufs battus. Sel, poivre, et on fait cuire dans une poêle avec une noisette de beurre (la recette est stéphanoise, donc, normalement, pas d'huile d'olive !). L'opération la plus délicate est le retournement de la préparation à mi-cuisson, quand la galette commence à dorer, car cela doit être assez ferme pour ne pas se briser mais encore moelleux afin de ne pas être sec. La deuxième cuisson sera plus brève que la première.

Contrairement à ce que suggérait Alter quand j'ai surgi en disant "j'ai envie de faire une râpée, ça fait une éternité qu'on n'en a pas mangé..." et qui voulait en accompagner une entrecôte, cela ne se consomme pas en légume mais en plat principal, accompagné d'une salade et après, pourquoi pas, un petit "grenier médocain". Notre virée à Bages nous a permis d'acheter cette délicieuse spécialité girondine dont on dit, la légende est avérée, que le Général de Gaule s'en faisait livrer toutes les semaines à l'Elysée ! Vous voyez ce qui vous reste à faire si vous voulez goûter cette spécialité !! C'est de la panse de porc, blanchie, aromatisée (on y mettrait des épices Rabelais, mais à mon avis, cela a évolué vers des mélanges plus savants !), puis roulée et cuite dans un bouillon dont la recette est propre à chaque cuisinier. Cela se mange froid, c'était un plat de casse-croûte, coupé en fines tranches et accompagné d'un peu de moutarde.


Proportions pour une râpée pour 2/3 personnes :
5 ou 6 Agatha de taille moyenne
4 oeufs
sel et poivre au moulin
une noix de beurre pour la cuisson
S'il en reste, c'est excellent froid, découpé en cubes pour l'apéro du lendemain !!

mercredi 23 février 2011

BEAUCOUP DE BRUIT !!


J'avais réclamé la clé de la voiture pour pouvoir quitter la salle au cas où le film me déplairait : il faut dire qu'un polar musical déjanté, cela peut attirer et rebuter à la fois.
- Musical as-tu dit ? Mais quel genre de musique ?
- Ben moderne !
- Ah ?? Bof, l'affiche n'est pas terrible en tout cas. Mais bon, on tente.
Et j'ai littéralement adoré "Sound of noise". D'abord c'est suédois, alors c'est un peu triste, vaguement nostalgique, et plein d'humour genre critique sociale désabusée. Les personnages sont lourds et lents, comme il sied à un pays glacial. Et puis, contrairement à d'autres "déjantés" qui déjantent pour le plaisir, sombrant peu ou prou dans un surréalisme pas toujours de bon aloi, il y a une légère trame psychologique : l'histoire de ce policier "gavé" depuis sa toute petite enfance de musique, d'idéal mélodieux, de sons supposés harmonieux et auquel son "petit" frère, brillant et célèbre chef d'orchestre, fait involontairement de l'ombre, est attachante. Chaque personne croisée se croit obligée de lui faire le panégérique du frangin mélomane, ou de lui parler "grande musique". Il en a les tympans qui explosent, au sens physique du terme.

Le film a été tourné très vite, environ 10 semaines, mais la construction de la bande son a pris un an pour les enregistrements et encore une longue période de mixage ! Élément essentiel du film, la musique expériment des instruments issus de la vie quotidienne, enregistrant dans des endroits communs et non en studio. C'est époustouflant, prenant et rythmé en diable. Une histoire hautement improbable se greffe sur ces prétextes que sont les morceaux de bravoure des percussions, aux caterpillars, aux billets de banque ou au stimulateur cardiaque... la suprise est toujours au rendez-vous et c'est jubilatoire. On rit énormément, le scénario complètement fou tient pourtant la route, les acteurs sont drôles et impulsent à l'ensemble une dynamique à contre-courant du rtyhme effréné des percussions. J'avoue que j'ai passé un délicieux moment, sans un instant d'ennui. Un film qui sort absoluement des sentiers battus ! Mais comme tout "déjanté" cela peut ne pas accrocher pour tous de la même façon.

mardi 22 février 2011

LE VILLAGE DE BAGES

Un petit matin plein de brumes océanes, telles que Roberto a bien raison de les imaginer !

Ce qui fait l'intérêt des voyages (enfin tels que nous les pratiquons, c'est à dire en trainant nos guêtres dans des lieux peu exotiques où l'on s'attarde assez longtemps pour s'imprégner de l'ambiance et comprendre un peu mieux la vie locale) c'est de rencontrer des gens qui aiment leur pays, leur métier, leur passe-temps. Ainsi le sommelier d'hier soir qui parlait de ses vins avec une méticulosité qui ne devait rien à l'obligation professionnelle : on entendait qu'il aimait son métier.

Ainsi le lendemain, la recontre d'un autre passionné, un vannier installé dans le petit village de Bages. En fait, ce n'est qu'un faubourg de Pauillac, réaménagé dans un style que d'aucuns pourraient qualifier de "Puy du Fou", mais avec d'authentiqes commerçants et artisans qui sont maintenus en place par les propriétaires de Lynch Bages pour offrir aux touristes des produits de qualité. Le village, restauré et reconstruit par un passionné qui ne voulait pas le voir disparaître, revit autour de sa jolie fontaine et de ses commerces de produits locaux. On a donné aux magasins les noms des ancêtres de celui qui est à l'origine de cette initiative et les bordelais s'y pressent volontiers le dimanche.

Nous avons fait une descente musclée chez le boucher, dont je reparlerai dans un prochain article, n'avons pas résisté à la table rustique mais raffinée du "bistrot" Lavinal, avons regretté que la boulangerie "Au Baba d'Andréa" soit fermée, et regardé de loin les souvenirs déco-viticoles du Bages Bazaar. Passant devant la boutique du vannier, Nat'Osier, je regardais à travers les vitres les produits exposés qui me rappelaient ceux que vendaient un oncle corse intallé à Marseille et qui fit fortune dans les années 60 avant de passer l'arme à gauche un jour de contrôle fiscal un peu trop pointu.


Le propriétaire des lieux me fit signe d'entrer et nous avons longuement discuté de sa passion : l'osier. En fait, le saule ! Puis, indirectement car il s'est mis à la vannerie, l'osier : nous avons ainsi appris qu'il n'en existe pas moins de 300 espèces, que toutes les couleurs utilisées en tressage sont naturelles et d'une variété incroyable. Nous avons découvert qu'il suffit de les planter en terre en janvier-février pour qu'ils racinent sans faire d'histoire et qu'on en fait des haies qui, après les chatons du printemps et les feuillages de l'été, offrent durant l'hiver le décor naturel de leurs bois colorés. Pierre Eveillard nous a expliqué qu'il existe des osiers à croissance rapide qui sont utilisés en Suède comme bois de chauffage dans les chaudières collectives : une source d'énergie particulièrement propre et exploitable localement. Les osiers sont aussi d'excellents dépollueurs de sol car ils fixent les métaux lourds et permettent de nettoyer des terrains contaminés sans difficulté.

Enfin, l'osier se travaille de mille manières, objets simples et traditionnels, sièges, paniers à bois, corbeilles à pain, paniers pour le marché que notre vanier a conçu de forme ergonomique pour ne pas fatiguer la ménagère ou le pêcheur. Mon produit préféré et dont j'ai photographié une pile, était cette petite boîte à couvercle qui peut contenir très exactement deux bouteilles de vin, coffret inspiré d'un producteur de champagne qui commercialisait ses flacons de cette façon. Il avait planté des oseraies qui faisaient vivre des dizaines de personnes des retombées inattendues de l'activité viticole. Une manière élégante d'offrir du vin que Pierre Eveillard tente de relancer !

lundi 21 février 2011

DE L'AUTRE COTE


Une corvée de taille ce week-end, corvée dont le poids ne cesse d'aller en s'aggravant, et que nous avons toujours tenté d'accommoder avec des escapades réconfortantes, pour "faire passer la pillule"... Quelques événements à fêter, et dont je vous passerai le détail, car chez les Alter Michelais quand on fête, ça dure, on adore "repasser les plats" et finalement ce ne sont que prétextes pour croquer la vie autrement.

Donc samedi soir, embarquement pour le Médoc. Cythère d'un nouveau genre, où Bacchus joue allègrement le rôle d'Aphrodite et dont les pages de sable fin sont bordées, côté Gironde, de carrelets et baignées de cette boue épaisse qui fait la caractéristique de l'estuaire.

Mais pour nous, c'est toujours agréable d'aller "en face", là où rugit l'Océan, et du côté où coule la Garonne, puisque nos eaux, celles qui passent sous nos fenêtres, proviennent, quant à elles, de la Dordogne.


Nous avons fait une halte vespérale à Vertheuil dont l'abbatiale XVIIIème est construite autour d'une des rares églises romanes de ces terres un peu à l'écart des routes médiévales. Cet ensemble architectural grandiose s'orne de deux clochers, formule fréquente dans les églises de l'Est, mais peu courante en Guyenne. Pas de façade principale, mais sur le flanc sud s'ouvre un beau portail d'inspiration saintongeaise, malheureusement un peu massacré au XVIIème par l'adjonction d'un décor à mascarons, qui viennent grignoter la suite vertigineuse des vieillards de l'Apocalypse, au départ bien plus nombreux que les 24 règlementaires !

On y admire aussi un déambulatoire au voûtement fort rare: au lieu d'être une sorte de couronne qui serpente tout le long de l'axe arrondi, chaque chapelle est rattachée au passage par un berceau radiant formant en plan des trapèzes qui se succèdent avec régularité. A l'entrée du choeur, une élégante construction gothique s'élève à hauteur respectable et constitue le mystère du lieu : trop haute pour être une chaire, trop petite pour accueillir un orgue, le "monument" s'offre à la curiosité sans autre explication répertoriée. Je dédie les fonds baptismaux, en forme de cannelé géant et creusés dans une énorme pierre monolithe du XVème siècle à Autour du Puits, spécialiste de ce genre de mobilier clérical. 


Alter avait organisé la virée et je vous épargnerai le détail du menu : un chef réputé sévissait en ces lieux jusqu'à l'an dernier, copieusement "macaronné". Appelé vers de plus hautes destinées, tant parisiennes qu'Asiatiques*, il vendit son affaire à son "premier", qui continue une cuisine traditionnelle mais inventive, qui nous a fort réjouit les papilles.

Mais ce qui fait le charme essentiel du lieu, planté au milieu de vignes prestigieuses, c'est l'accord "mets et vins", qui s'égrenne selon un plan parfaitement orchestré par un sommelier plein d'astuces et d'audaces : il nous a fait découvrir un Médoc blanc, alerte et quasiment citronné : sur un fois gras, c'était inattendu et pourtant bienvenu. Cela nous a permis aussi d'apprendre qu'on fabrique en local ces délicieux petits vins blancs qui n'ont, bien sûr, droit à aucune étiquette prestigieuse, les classements médocains étant réservés aux rouges. Bordeaux Blancs donc, en toute simplicité et qui, foi de michelaise, vous laissent un agréable souvenir. Les vins allaient crescendo tout au long du repas et l'accord final, plaqué avec élégance, revenait à un Château Lynch Bages 1988 : il faut être en plein terroir pour espérer déguster un vin de cet âge et de cette tenue, sans finir sa vie en faisant la vaisselle dans les cuisines de l'hôtel !


* Il s'agit de Thierry Marx, "promotteur" de la cuisine moléculaire, sans doute trop hardie pour ces terroirs médocains et qui a délaissé les rives de la Gironde pour les sirènes aux yeux bridés du Mandarin Oriental ... un lieu que nous n'aurons vraisemblablement jamais l'occasion de découvrir !

dimanche 20 février 2011

LES MASQUES SANS VENISE

Jeu de l'intrus numéro 1 : un de ces 4 "autoportraits" d'Ensor n'en est justement pas un ...

Ensor était très à la mode lorsque j’étais jeune. Son côté provocant, sa touche d’amertume et de critique sociale implicite devait plaire aux soixante-huitards pas encore attardés que nous étions en ce temps-là. Mais j’avoue que lorsqu’Alter m’a annoncé l’exposition Ensor de Bruxelles, j’ai tordu le nez et nous y sommes allés plus par « conscience professionnelle » que par réel penchant pour ce peintre.

Jeu de l'intrus numéro 2 : Ensor, vu par lui-même et par d'autres... oui mais !! un de ces portraits n'est pas celui d'Ensor mais de son père.

Certes, cela reste le peintre des masques multicolores et vaguement inquiétants, avec parfois le sentiment qu’il en fait trop pour attirer l’attention. Comme une recette qui lui aurait assuré la célébrité. Cette méfiance tombe lors de la visite « d’Ensor démasqué ». Ses organisateurs ont eu l'intelligence de ne pas la limiter à cette facette du peintre. Elle emmène le visiteur dans le processus créatif de l'artiste, depuis les premiers pas de sa carrière, paysagiste presque impressionniste, jusqu’aux ultimes toiles peintes à plus de 80 ans. Avec 140 dessins présentés pour 60 tableaux, l'exposition met résolument l'accent sur sa façon de travailler, de créer et de mettre en lumière.


Dans un premier temps, celle-ci montre qu'Ensor était un vrai peintre réaliste. Excellent dessinateur, ses croquis copies de… ou dans le genre de… montrent une aisance certaine. Il réalise des paysages épurés, sans concession et qui rendent parfaitement le côté ingrat des horizons nordiques. Cela tient des peintres de Barbizon et un peu des impressionnistes.

Jeu de l'intrus numéro 3 : un de ces 4 portraits n'est pas celui de son ami Flinch...

Ses portraits sont acérés, assez brillants. Il croque souvent et avec acuité sa sœur Mitche, et son ami Willy Finch, toiles qui montrent la maturation de l’artiste, la recherche d'une juste position des mains, de la finition d'un détail ou la recherche du meilleur angle. Le portrait de sa mère morte réalisé sur le lit de mort de cette dernière, est, à cet égard, le plus frappant, mais pas nécessairement le plus prometteur.

La mangeuse d’huîtres m’a semblée plus intéressante !


Mais ce sont ses natures mortes et peintures d’intérieur qui m’ont le plus accrochée : il y déploie un sens de la lumière qui donne un relief intimiste et vibrant à ces scènes qui, pour moi, sont le genre dans lequel il excelle. L’exposition se termine d’ailleurs par deux scènes d’intérieur qui, laissant de côté les arguments faciles du peintre des masques, reviennent à une expression virtuose et nettement plus émouvante de l’ambiance de ces pièces intimes.


Ensuite, on s'intéresse de plus près au volet le plus original et le plus novateur de l'œuvre d'Ensor : ses fameux tableaux grotesques et ses masques. On apprend que ses parents tenaient une boutique de souvenirs, coquillages et masques de Carnaval dans la « bonne » ville d’Ostende et qu’il a grandi au milieu de souvenirs balnéaires d’un goût douteux, qui lui ont donné un penchant pour les couleurs vives et ces objets insolites qu’il vendait aux touristes de passage.

Au début, ses toiles sont simplement anecdotiques, puis, le succès venant, il leur donne un caractère angoissant, vaguement ricanant qui devient sa « marque de fabrique ». A cet égard, L'intrigue est indéniablement une des pièces maîtresses de l'exposition.

Elle représenterait le mariage de sa sœur Mitche, assez tardif, et se voudrait une présentation sans concession de la bourgeoisie belge du début du XXème. Mais d’autres toiles égrènent ces teintes vives, ces visages grimaçants, ces scènes un peu grotesques qui mettent le spectateur, transformé en voyeur perplexe, mal à l’aise. C’est prévu pour, et en tant que tel, c’est efficace ! Le monde grimé est un monde à l’envers, où tout est remis en cause, plus de certitudes, les liens sociaux sont démontrés par l’absurde. La foule est menaçante, cauchemardesque, et l’on est saisi d’une attirance répulsion qui est ambivalente et prégnante.

On découvre enfin qu’Ensor était aussi écrivain, conférencier, compositeur même à ses heures, et qu’il abandonna même quasiment la peinture, malgré le succès grandissant dont il était l’objet, pour se consacrer presqu’exclusivement à la musique. Il aimait développer à l’envi une prose aussi colorée que ses toiles, témoin cet extrait d’un discours prononcé lors d’un banquet donné en son honneur :

« Je suis né à Ostende, le 13 avril 1860, un vendredi, jour de Vénus. Eh bien ! chers amis, Vénus, dès l'aube de ma naissance, vint à moi souriante et nous nous regardâmes longuement dans les yeux. Ah! les beaux yeux pers et verts, les longs cheveux couleur de sable. Vénus était blonde et belle, toute barbouillée d'écume, elle fleurait bon la mer salée. Bien vite je la peignis, car elle mordait mes pinceaux, bouffait mes couleurs, convoitait mes coquilles peintes, elle courait sur mes nacres, s'oubliait dans mes conques, salivait sur mes brosses. »

Solution du précédent jeu dans l'Académie mise à nue : dans le premier duo, le Nattier est en bas. Dans le deuxième duo, le Nattier est à droite. Enfin, l'intrus, le dessin qui n'est pas de Van Loo, est celui d'en bas à droite.

vendredi 18 février 2011

A LA FRANCAISE OU A L'ITALIENNE ??

Maintenant on dit "paysage" et "portrait"... Autrefois on disait "à la française" ou "à l'italienne"... Nous avons chacun nos manies n'est-ce pas ?? le tout c'est que l'horizon reste droit ! Je suis certaine que vous savez qui a fait quoi !


Là c'est moins évident !!!

Et là, c'est trop facile !! Mais au cas où vous n'auriez pas identifié la première série, cela vous donnera la solution.

jeudi 17 février 2011

LE TROISIEME TYPE

Bon, il s'agit de relever le défi proposé par Chic dans son commentaire : après la joggueuse et le joggueur, la rencontre du 3ème type ! Chic nous a offert un vrai extra-terrestre, je vous propose un terrestre 100%. Dans ce petit récit, il y a bien le premier type, le dragueur, le deuxième type, en l'occurence "la" parisienne, et le troisième type : un homme un peu timide mais tellement sincère ! A moins que finalement, le troisème type ne soit le contrôleur... c'est vous qui en jugerez.



J'étais en train de lire "L'heure du Roi" de Khazanov, ce texte de contrebande forcément subversif, qu'elle m'avait offert avec toute son amitié... Avec le plaisir de sa présence sur la quai à mon arrivée et la délicatesse d'avoir été là, fut-ce quelques minutes, pour ensoleiller ma journée un peu terne, lors d'un voyage rapide et pas très radieux à Paris. Une de ces convocations de dernière minute qui vous fichent un planning en miettes, vous font vous demander à quoi servent les visioconférences et vous font maugréer contre le sort qui vous est imparti. 8h de train dans la journée ça vous rend un peu maussade, sauf si un rayon d'amitié éclaire ce pensum. Et le rayon en question, passage éclair de mon aminaute de prédilection, m'a valu ce livre  au style ciselé avec délicatesse et sans ostentation, une façon d'écrire entre évidence et rêve que j'affectionne particulièrement, et que je dévorais dans le TER de retour reliant Niort à Royan.


Derrière moi, un petit monsieur, plus tout jeune mais charmant et jovial, "draguait" avec enthousiasme une jeune parisienne égarée, manifestement affolée d'aboutir dans un lieu aussi reculé que notre bonne ville. Elle s'inquiétait fort bruyamment de l'endroit où pouvait se nicher le Novotel, et de la probabilité qu'un taxi puisse l'y conduire. Notre Don Juan plaisantait, mais ignorait manifestement l'emplacement de la seule ressource hôtelière potable de la ville de Royan, pourtant terriblement repérable sur son rocher altier. Il m'a semblé plus tard l'entendre dire qu'il regagnait ses pénates à Meschers, de là à conclure que les michelais ne connaissent pas bien Royan...
Face à moi, un monsieur très rangé, plutôt rond de cuir et réservé en diable, prit soudain la parole, et, avec l'audace des timides, déclara tout de go au vibrion un peu déçue du manque de serviabilité de celui qui se donnait tant de mal pour la faire rire un instant avant : "Je vous y déposerai mademoiselle, ce n'est pas très loin de la gare".
Remerciements enthousiastes de l'intéressée, son séducteur désappointé engageant du coup un autre conversation sur sa gauche. Et mon vis à vis, étonné de sa propre bravoure, la voix d'abord un peu étranglée par l'absence d'habitude de s'imposer, entreprit de se justifier de cette invitation, somme toute hardie.
"Il m'est arrivé une drôle d'aventure..."

Encouragé par nos regards interrogatifs il poursuivit
"A Paris, je me suis trompé de train".
"Comment est-ce possible ?"
"Et bien j'étais en avance, parfaitement détendu, et je suis monté trop vite dans un train. J'ai cru vérifier pourtant, mais après le départ, je me suis rendu compte qu'il allait direct à Bordeaux, avec un seul arrêt à Angoulême". Il faut expliquer que pour rejoindre Royan, on prend le train de La Rochelle, on fait un peu omnibus jusqu'à Niort et que là, on change pour un TER raliant le bord de l'Atlantique.
In petto, je compatis, sans trop savoir ce que nous réservait pour la suite notre héros d'un soir. Mais il faut savoir que depuis Angoulême, pour cause de travaux sur la voie qui durent jusqu'en mai 2011, il faut se livrer à un vrai parcours du combattant pour rejoindre Royan, un bus qui fait tous les villages jusqu'à Saintes, puis de là, un train qui hahanne jusqu'au terminus océan. Sans compter que ce système aléatoire et inconfortable ne doit plus guère exister de nuit.
"Donc j'avise le contrôleur qui m'annonce qu'il ne me comptera pas de supplément, mais qui a l'air désolé pour moi, car le voyage risque d'être impossible pour ce soir. Obligé de coucher à l'hôtel à Angoulême pour rejoindre Royan demain matin. Gentil le contrôleur, serviable même, cherchant avec ardeur dans sa machine comment je pourrais m'en sortir...
Soudain, bien qu'aucun arrêt n'y soit prévu, le train ralentit. On approchait de Poitiers et on avait pris une allure poussive. Le contrôleur me demande si cela m'intéresserait de descendre à Poitiers. Oui, lui dis-je, ma fille y habite, j'aurai au moins un hébergement pour la nuit, et ce sera toujours mieux qu'Angoulême. Deux autres voyageurs qui avaient, c'est étrange - je me demande finalement s'il n'y avait pas une fausse indication quelque part - fait la même erreur que moi, décident qu'eux aussi aimeraient descendre à Poitiers. Le contrôleur alors s'empare du téléphone d'alarme et demande, juste pour nous trois, au train de faire halte en gare de Poitiers. 30 secondes d'arrêt : nous descendons, reprenons nos esprits,et soudain alors que le direct pour Bordeaux repart, un autre train entre en gare. Un train qui n'aurait pas dû être là, celui que j'aurais dû prendre à Paris, et qui passe plus tôt en principe. Il avait ce soir10 minutes de retard ! Nous sautons dedans, et me voilà. Je suis tellement content de rentrer dans les temps, que je me dois de vous rendre service à mon tour mademoiselle !!"
On raconte sur le net assez d'histoires de contrôleurs acariâtres, d'employés désagréables, d'humains revêches pour vous conter à mon tour celle-ci, qui réconcilie avec la SNCF, les hommes de bonne volonté qui y travaillent dans des conditions pas toujours évidentes (et qui n'ont pas forcément besoin du néotaylorisme pour être aimables), et qui, en prime, vous rassurent sur les capacités d'altruisme de vos semblables. Ce monsieur, heureux d'avoir eu de la chance, se sentait redevable envers le sort, et voulait à son tour aider quelqu'un dans l'embarras. C'est pas joli ça ?? Et il tenait sans doute par son récit à nous préciser que ses intentions à l'égard de cette jeune citadine, fort inquiète d'atterrir sans parachute au bout du monde, étaient pures ! Mais je ne connais pas la fin de l'histoire !! Dieu sait quels souvenirs lui laisseront son équipée aux confins de notre province, sur fond d'Océan et de vent marin.
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...