C'est aussi cela les blogs : je n'ai jamais été particulièrement attirée par les orgues ou par la musique d'orgue. Mais ayant comme copinaute Idées Heureuses, cela m'a rendue plus curieuse à l'égard de ces instruments dont je pouvais, au mieux, dire d'un air benoît "oh, il est joli". Et quand j'en croise un, je lui porte une attention nettement plus soutenue, en pensant à Martine de Sclos ! Celui de l'église Sainte Croix a donc d'autant plus retenu mon regard qu'on m'expliquait qu'il est l'un des orgues historiques les plus grands et les plus parfaits d'Europe. Restauré en 1985, sa remise en état dura une douzaine d'années et il compte aujourd'hui parmi les meilleurs instruments XVIIIème en état de fonctionner. Voilà, me suis-je dit, qui devrait intéresser Martine, et, du coup, je m'y suis intéressée aussi.
François Bedos de Celles naquit dans l'Hérault en 1709. Devenu bénédictin au monastère de la Daurade à Toulouse, il occupa des postes de confiance, devenant par exemple secrétaire du Chapitre, mais s'intéressa très tôt aux orgues et à leur fabrication. Curieux, il aimait aussi à construire des cadrans solaires, mais c'est dans le domaine de l'orgue qu'il a laissé un nom incontournable. D'autant qu'il a écrit un "Traité de facture d'orgue" qui, dit-on, fait encore autorité ! C'est en 1748 qu'il achève, pour l'abbaye Sainte Croix de Bordeaux où il est alors moine, son instrument le plus important, son chef d'oeuvre : un grand orgue dit "de trente-deux pieds", un des plus considérables du Royaume. 4 claviers, 44 jeux dont une bourdon 32 et une bombarde à main ! Cela ne me dit pas grand chose, mais a l'air d'importance !
Cet instrument remarquable a certes subi les viscissitudes de l'Histoire mais s'il nous est parvenu en assez mauvais état, il présentait l'avantage, malgré des démontages et remontages intempestifs, d'être relativement complet. Une restauration à l'identique fut donc projetée, d'autant plus intéressante que c'est le seul instrument construit par ce génial théoricien de l'orgue qui ait traversé les âges. En service depuis 1997, l'association qui le gère propose chaque saison une riche programmation d'oeuvres pour clavier.
Installé dans l'église Sainte Croix de Bordeaux, l'orgue occupe tout le revers de la façade de ce bâtiment imposant, revu et corrigé par l'inénarrable Abadie. Ceux qui ont visité Saint Front à Périgueux ou l'église d'Angoulême savent de quoi cet architecte enthousiaste était capable. Il adorait refaire "à la manière de", selon une conception de l'art roman qui lui était bien personnelle et qui a rencontré depuis de nombreux détracteurs.
Le 23 mars 1838, Stendhal (qui n'est pas allé qu'à Rome) visite Bordeaux "Troisième jour de pluie par vent d'Ouest... La façade de Saint-Croix, fort curieuse, a presque la forme d'un triangle ; elle est fort élevée à droite, et fort basse à gauche. A la droite du spectateur s'élève une tour à trois étages... Eglise pleine d'onction si l'on peut ainsi parler ; son antiquité, son air à demi détruit par le temps lui ouvrent sur-le-champ le coeur de celui qui la voit". Pas de doute qu'Abadie y ait porté bon ordre, et si l'on critique souvent ses campagnes ravageuses de restauration, il faut du moins reconnaître que grâce à lui, des bâtiments menaçant ruine sont parvenus jusqu'à nous. A la même époque, certains préfets, plutôt que d'avoir recours à ses services ou à ceux de l'un de ses semblables, transformaient les églises menaçant ruine en carrière de pierres, et nombre d'entre elles se sont ainsi vue amputées d'un nombre impressionnant de travées.
A Sainte Croix, rien de pareil : en 1862 Abadie supprime le triangle et le remplace par une façade régulière et symétrique, en ajoutant une tour de trois étages à la gauche du spectateur ! Il fait disparaître la rosace gothique qui, selon lui, gâche autant l'air roman de la façade que son fronton classique qui, lui aussi subit le même sort. Pour ce dernier c'est sans doute un bien, pour la rosace gothique c'est plus regrettable car elle annonçait l'intérieur qui, lui, est totalement gothique. Du coup, il redessine un tympan et s'inspire de celui d'Angoulême. Il habite les niches de statues toutes fraîches, qui se sont patinées depuis et qui sont inspirées de nos églises saintongeaises. L'ensemble a gardé belle allure malgré ces interventions parfois intempestives et les ans ont adouci les angles du Saint Georges terrassant le dragon qui domine aujourd'hui la niche principale de la façade. Il est de bon ton de vilipender Abadie mais l'église Sainte Croix est toujours là, et qui sait ce qu'il en serait advenu sans la passion de cet architecte trop passionné mais efficace !
Mais elle est super ton église! Comme un idiot, j'ai commandé au Père Noël les Voyages en Italie de Stendhal, tu me donnes envie d'annuler ma commande et de la corriger par les Voyages en France! Si tu voyais les églises à Duisbourg, elles ressemblent à des crématoriums, c'est afffffreux!
RépondreSupprimerTrès bien, en voilà un de plus à mettre dans la collection.
RépondreSupprimerDom Bedos est très intéressant pour nous car il donne des descriptions très précises de cet instrument, sa construction, la façon d'employer les jeux suivant les pièces à jouer...c'est un traité incontournable et en plus il propose une série sur les cylindres ou art de la tonotechnie (principe des boites à musique ) sur lesquels sont "enregistrés" des airs donnant la preuve de l'inégalité des notes dans la musique française... tout un programme. Plein de jolis mots à découvrir en prime!
Voici un site qui reproduit partiellement le traité mais cela est un peu ardu...vraiment pour des spécialistes de l'orgue.
Cependant par curiosité on peut y faire un petit tour...
http://hydraule.org/bureau/biblio/dombedos/sommaire.htm#partie3
Martine de Sclos
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé les étrusques que j'aimais déjà avant de lire ce billet.
Et me voici à nouveau plongé dans le beauté des sons et des édifices d'où j'entends un magistral orchestre.
Non seulement je l'entends mais je le vois.
Merci beaucoup.Pour tout
Et bonnes fêtes à tous et à tous.
Bonnes fêtes à toi Herbert, au son des orgues bien sûr !!! c'est plus solennel pas vrai ?
RépondreSupprimerAh GF, faut pas avoir de regrets, cela te fera une idée pour ta prochaine lettre au Père Noël... Oui Sainte Croix est, malgré les interventions un peu trop musclées d'Abadie, une fort belle église. A propos, tu as changé ton avatar, jeune homme !!! quelle fierté pas vrai !!
Martine, cet article t'était, tu l'as compris, dédié et je vais aller faire un tour sur le site dont tu parles, mais après les fêtes !!! Bon Noël à toi ...
Chère Michelaise,
RépondreSupprimerJe découvre maintenant votre article sur Sainte Croix de Bordeaux. Cet instrument reconstitué par le très grand facteur d’orgues français Pascal Quoirin est, je pense, la première et la seule tentative de retrouver ce qu’était un instrument tel que Dom Bedos de Celles (de l’abbaye de Saint Maur) pouvait le concevoir et le réaliser. Ce bénédictin a codifié ce qu’était la facture d’orgue de son époque. Première édition en 1766 de ‘L’art du Facteur d’Orgue’ on peut estimer qu’il décrit ce qu’était la facture d’orgue classique française une cinquantaine d’années auparavant. Une réédition a été faite en fac-simile au format original par Léonce Laget en 1976. Passons sur les difficultés rencontrées avant que n’aboutisse ce splendide projet, Il est quasiment certain que l’instrument original ait été construit à Sainte Croix par Dom Bedos lui-même et que Pascal Quoirin a eu le talent de reconstituer, selon les méthodes historiques maintenant en usage, l’instrument conçu par Dom Bedos (attention portée au matériau ancien récupéré et restauration à l’identique selon les méthodes anciennes). Pour savoir un peu ce qu’est ce genre d’instrument et pour ne l’avoir hélas personnellement entendu qu’en disque, je peux me rendre compte du magnifique travail effectué par le facteur qui a eu la charge de la reconstitution. Le terme 32’ qui vous intrigue mentionne simplement la longueur du corps sonore : donc la fréquence fondamentale du premier tuyau de la série de la gamme. Un tuyau ouvert de 32’ (32 pieds) mesure donc environ 10m36 de corps sonore et un bourdon de 32’ (tuyau fermé) seulement la moitié soit environ 5,18m (voir cours de physique de terminale ! F=KV/2L). Lorsque je parle de corps sonore il s’agit de la partie acoustiquement active ; le pied (support) vient en supplément de la longueur et n’intervient donc pas sur la fréquence fondamentale. La fréquence fondamentale de l’un et de l’autre étant donc la même : soit environ 16 Hz. Le pied de Roi qui sert de mesure à cette époque fait 0,324m. Je ne peux que vous renvoyer, si vous et vos lecteurs êtes curieux de ces choses à la splendide monographie parue en 2001 chez William Blake & Co qui s’intitule : « Le Testament de Dom Bedos » ouvrage sans aucun doute disponible dans les bonnes bibliothèques publiques et qui présente de façon très précise les tenants et aboutissants de ce magnifique travail (historique, technique, iconographie et qualité du papier, tout y est du plus haut niveau).
J’espère que vous en savez un peu plus sur ce monde sonore étonnant…
Passez de bonnes fêtes… les vœux viendront en leur temps.
Michel d Lyon
Un grand merci cher Michel pour ce cours magistral et passionnant d'orguologie (oups !!!) (ça a forcément un nom mais allez savoir lequel, vous Michel le savez sans doute !!). Qu'il me soit simplement permis d'ajouter que l'orgue de Dom Bedos a été démonté au 19ème siècle (sauf les buffets) et installé dans la cathédrale Saint André de Bordeaux. En 1970, le matériel de l’orgue fut retiré de la cathédrale et entreposé en vue de sa reconstitution à l’identique dans ses buffets d’origine. Clin d’œil : je remarque au passage que c'est donc sur cet orgue que je chantais le credo en latin dans les années 60 !!!! Vatican II était passé par là, mais la cathédrale St André pratiquait encore le latin !!!
RépondreSupprimerC'est en 1985 qu'ont débuté les travaux de "reconstruction". Douze années ont été nécessaires à l’entreprise Pascal Quoirin pour mener à bien cette entreprise considérable et restituer dans sa vérité cet orgue historique et mythique. Le temps passé s'explique par les difficultés techniques que vous nous exposez brillamment !
La discipline qui couvre l’étude des divers instruments (dont l’orgue en particulier) s’appelle tout simplement l’organologie (vous n’en étiez pas loin !). Mais elle couvre l’étude tant des instruments à vent qu’à cordes, et autres métallophones. Il est vrai qu’il y a une certaine proximité entre le nom de l’instrument et celui de la discipline ce qui rend possible certaine confusion. Je rends donc à l’organologie sa vastitude. Certes, une partie de l’instrument avait été intégré dans l’orgue de la cathédrale de Bordeaux. Mais je ne pouvais pas aborder toutes les vicissitudes des éléments du Dom Bedos. Il me semble, de mémoire, que l’orgue de la cathédrale de Bordeaux comprenait non seulement des éléments du Dom Bedos de Sainte Croix mais aussi des éléments de l’orgue de Saint Pierre de La Réole. La Révolution et ses avanies n’a rien arrangé dans le domaine de l’organologie organistique. L’expérience malheureuse d’Auch (Jean de Joyeuse) a sans doute amené les factions diverses de la région bordelaise à prendre des décisions qui nous apportent ce chef-d’œuvre. On ne peut que constater dans la région lyonnaise le défaut total d’instruments anciens d’une part à cause du rit dit lyonnais de la liturgie et d’autre part à cause de la destruction révolutionnaire d’instruments intéressants attestés dans les archives. Je ne pense pas que lorsque vous chantiez en latin vous aviez le bonheur d’entendre ce que pouvait être un instrument de Dom Bedos. En revanche, maintenant à Sainte Croix le calme extraordinaire du grand ‘plein jeu’ de ce ‘grand seize pieds’ (ce sont les termes techniques utilisables) ne peut que nous donner une idée de ce que pouvait être la musique d’orgue (d’office ou de concert) et de l’élégance soyeuse de cette sonorité dans une période où l’acuité auditive était sans doute plus pointue que ne l’est la nôtre. Il y aurait tout un travail à faire si on mettait en relation la qualité sonore des instruments et leur évolution en regard du développement industriel et par voie de conséquence de l’élévation du niveau de bruit ambiant. Le Grand Steinway a été développé (en partie) à partir du moment où l’on a construit de très grandes salles de concerts et où les beaux instruments plus anciens ne pouvaient plus remplir leur office (et les salles). Idem pour le passage des cordes en boyau aux cordes métalliques sur les instruments à archet. Profitez-donc de cette magnifique reconstitution dont j’aimerais pourvoir me dire que j’en verrai une de telle ampleur dans ma région avant d’aller sur d’autres terres si elles existent. Mais j’ai bien compris que le commerce (banque, soierie, imprimerie) et la culture ne faisaient pas toujours bon ménage !
RépondreSupprimerMichel de Lyon