Chaque année, en janvier, c'est la même rengaine : nous devons "vendre" notre formation. Et oui, l’Éducation Nationale, c'est gratuit, ouvert à tous, mais il faut se vendre, sinon on vous ferme ! Le seul souci, c'est que nous n'avons pour cela guère de soutien logistique, et c'est nous qui faisons les commerciaux... sans compétence particulière et surtout sans moyen. Ce qui, dans notre civilisation de l'image, hyper médiatisée et donc très difficile dès lors qu'il s'agit de promotion et de concurrence, est une vraie gageure. Nous bricolons nous-même notre site, nos affiches, nos dépliants, et je vous assure que nous sommes de vulgaires amateurs, sans aucune chance d'attirer le chaland ! Enfin... nous essayons tout de même de faire contre mauvaise fortune bon cœur, et participons à tous les Salons de l’Étudiant de notre zone de recrutement. Autant dire que, par comparaison avec les boîtes de formation privées qui ont un budget communication et des commerciaux uniquement en charge de cette tache, nous faisons pâle figure : relégués au fin fond des vastes hangars abritant les stands destinés à aider les jeunes dans l'élaboration de leur projet professionnel, nous n'avons pas l'électricité parce que c'est trop cher, nous alignons quelques affiches fripées et tout notre bonne volonté. Seuls les courageux ou les déjà informés parviennent jusqu'à nous, donc les journées sont longues, assis derrière notre petite table, genre brocante sans clients et les visites, fut-ce de collègues venus, à grands frais, accompagner nos jeunes, sont bienvenues. Les seuls bénéficiaires de la journée sont les organisateurs du Salon qui nous vendent au tarif fort le droit de planter notre stand et qui entretiennent savamment l'impression que ce genre de manifestation est incontournable. Si l'on en juge par le désintérêt des jeunes, plus prompts à aller se balader à La Rochelle qu'à venir examiner nos brochures artisanales, on réalise volontiers qu'ils doivent forcément trouver leurs informations ailleurs et que ces salons sont surtout un gagne-pain efficace pour ceux qui les organisent... toute une industrie !
Alors, allez savoir pourquoi, je me suis l'autre jour retrouvée dans mon rôle de prédilection, Alter m'appelle volontiers "le curé d'Ars", écoutant et découvrant la vie des uns et des autres. C'est fou ce que la simple attention, juste un peu plus que polie, réelle, cordiale, provoque la confidence. Entre la jeune hôtesse qui m'expliquait en détail son origine marseillaise, ses études, ses stages à l'étranger, son projet personnel et le presque aussi jeune collègue qui me détaillait ses mésaventures conjugales, déclinées en double puisqu'après avoir vécu vaille que vaille et plutôt mal, son propre divorce, il affrontait avec courage celui de sa compagne, passablement mouvementé, j'ai largement eu de quoi occuper ma journée !
J'ai ainsi découvert que l'association de Rioux, petit village saintongeais célèbre pour sa splendide église romane, venait de créer une association de protection du patrimoine, destinée à sauvegarder non l'église, déjà fort reconnue, pas même la halle, pleine de charme et déjà bien mise en valeur... mais la salle des fêtes, piteuse bâtisse des années 50 dont le mérite semble être essentiellement qu'elle est une sorte de mémoire collective à laquelle les villageois sont fort attachés. La municipalité, très tendance, projetait d'y faire un "centre commercial" et les gens du lieux, pleins de nostalgie et prêts à se mobiliser pour la cause, ont décidé que cet endroit, où le village a célébré fêtes et mariages depuis un demi-siècle, ne devait pas être dédié aux dieux du commerce.
Autre cause fort honorable de cette association, défendre ... la nuit. Oui, vous m'avez bien lue, les habitants de Rioux se battent contre l’installation d'un éclairage public qui viendrait illuminer leurs chemins et leurs places. Pas de lampadaires à Rioux, on veut conserver le noir, le vrai, le très rare et précieux bien naturel qui n'existe plus nulle part. Et quand on leur parle confort ou sécurité, les rioutais rigolent : allons donc, personne ne sort le soir à Rioux et chacun a une lampe sur son seuil. Non, on veut dormir, regarder les étoiles, profiter de la profondeur de la nuit, voir la lune dans toute sa splendeur, bref, on veut vivre au rythme qui a toujours été celui de l'homme avant que la fée Électricité ne vienne lui brouiller l'entendement et le leurrer par de trompeuses illuminations ! Avouez que la cause est noble et j'en vois déjà parmi vous qui sont prêts à soutenir cette association atypique et, ô combien futuriste !!
Après donc avoir accompli, au mieux, mon devoir au Salon des Etudiants, j'ai décidé de m'offrir moi aussi une virée éclair au centre ville, pour sacrifier fut-ce du bout du portefeuille et le plus raisonnablement possible car mes armoires débordent déjà, au rituel des soldes. J'étais le visage plongé sur mon Androïd pour chercher le nom d'une rue, lunettes sur le bout nez, air un peu ahuri, quand, levant les yeux je croise un regard bleu, sympathique et rigolard ! Devant mon air interrogateur, la dame qui me faisait face part dans un discours généreux et confus, aux termes duquel elle était photographe, donc observatrice, et avait été attiré par mes lunettes et leur cordon rouge. Lunettes qu'elle-même était en devoir de porter désormais, l'âge lui infligeant comme à moi ce terrible pensum, et, sur cette "fraternité" improvisée, elle m'a prise en main, accompagnée et surtout parlé. Nous sommes ainsi restées plus d'une demie-heure ensemble, temps à l'issu duquel je connaissais à peu près toute sa vie ! Ou du moins ce qu'elle avait envie d'en dire : tout y est passé, sa mère, juive athée et furieusement psychorigide, tyrannique et têtue, sa sœur jumelle qui n'avait pas résisté au traitement, ses ambitions professionnelles et ses réussites marquantes (là j'ai eu droit à une suite de noms qui m'ont laissée de marbre, un sourire entendu collé aux lèvres, tant le nom des people m'échappe), son nouvel amour camerounais qu'elle allait rejoindre bientôt, sa tenue décente pour aller à la synagogue, ses sympathies dont je n'ai pas été fichue de comprendre si elles étaient pro-israëliennes ou pro-palestiniennes tant la dame était convaincue que je savais de quoi elle voulait parler... bref, on a parcouru une vie en l'espace d'un déjeuner de soleil. On papotait comme si on s'était connues depuis l'enfance, faisant salon au milieu de la chaussée. Elle saluait au passage passants et cyclistes qui semblaient vraiment la connaitre, et malgré l'invraisemblable de la situation, n'avait pas l'air d'une insensée. Elle s'exprimait bien mélangeait un peu tout tant elle avait à dire, surdimensionnait manifestement ses références et son passé, mais au total elle semblait fort à l'aise. Je ne sais trop ce qui m'est arrivé, si j'ai servi d’exutoire à une exaltée qui avait besoin d'une oreille complaisante ou remonté le moral à quelqu'un qui avait simplement besoin de parler, mais ce que je ne comprends pas c'est pourquoi je suis toujours aussi bon public : j'écoute, je compatis, j'interroge et je prends tout cela fort au sérieux, je me sens incapable d'interrompre quelqu'un qui parle de lui, quitte à me dire ensuite que je me demande bien quelle était la motivation de cette dame et pourquoi elle a eu besoin, là, un vendredi à 17h toutes affaires cessantes, de raconter sa vie à la première venue. Étrange chose que la solitude ... à moins que ce ne soit elle qui soit dans le vrai, cet échange surréaliste mais gratuit étant finalement une belle leçon d'humanité.
Danielle aussi inspire la confidence...Le projecteur est alors tourné vers ceux qui racontent leur histoire et demandent implicitement qu'on la fasse exister, mais je me demande, de mon côté, ce qui caractérise les gens qui écoutent. Saurais-tu nous le dire? à quoi cela fait-il écho?
RépondreSupprimerOui Marie Josée, Danielle écoute aussi et j'adore ses histoires qui m'interpellent toujours !!! Une autre qui suscite facilement la confidence est Aloïs. Je ne sais pourquoi on écoute : peut-être pour ne pas blesser, pour se cacher, pour s'imprégner de l'autre ??? Va savoir, Norma fera peut-être notre analyse de groupe ?? !!
RépondreSupprimerOn dirait que le doute si cet échange surréaliste au milieu de la chaussée était plutot un petit bonheur ou un petit malheur vient déjà à partir de ces 17 heures d'un vendredi 13 d'une année bissextile où il s'est passé... Mais je crois que tu as raison de pencher pour la première hypothèse, et surtout que ton ouverture, ta curiosité, ta disponibilité, ton enthousiasme... bref, toutes les qualités qui (intelligence et culture à part) rendent ton blog et ta personne si aimeés par tes lecteurs ne pouvaient faire jaillir en toi autre avis que: cette rencontre était une belle -meme si un peu bizarre- opportunité.
RépondreSupprimerChe Dio o chi per lui ti conservi come sei !
C'est le meme souhait que j'adresse, moi aussi et de tout mon coeur, à Danielle et à Alois: leurs billets sont pour moi, chaque fois, un véritable régal, j'en profite donc pour les remercier ici.
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerLe salon de l'étudiant te conduit et nous conduit en des endroits où il faut avoir le sens ...de l'orientation pour guider ses pas.
Mais quel régal...
Tu t'étonnes ( faussement ? ) que l'on vienne se confier à toi...
Mais tu as bien mérité ce surnom de "curé d'Ars ".
C'est presque la page du journal d'un curé de campagne...
Pour mon plus grand bonheur.
Bon dimanche.
PS:tu as des lunettes, mais tu lis... Moi aussi, j'ai des lunettes, mais j'ai beaucoup de mal à lire...
L'art de dire et d'amener malicieusement à une intelligente réflexion par un récit au commencement désabusé et résigné mais qui s'achève par cette très improbable mais assez émouvante rencontre.
RépondreSupprimerC'est peut-être moins la solitude que l'on peut cultiver, que l'isolement qui ont conduit cette inconnue vers vous et SANS AUCUN DOUTE votre aptitude à l'entendre et l'écouter à ce moment.
Sainte et/ou Psy, Michelaise notre dame du bon secours!!!
Au plaisir de vous lire, encore.
Merci.
Amitiés.
Paradoxal Siu : un blog c'est pour bavasser et parler de soi... et voilà que je prétends écouter les autres !! le blog est-il une forme de revanche ??? va savoir !! En tout cas, je n'avais pas réalisé cette conjonction surprenante, le vendredi 13 d'une année bissextile, mazette. Message transmis à Aloïs et Danielle !!
RépondreSupprimerAu passage j'adore "Dio o chi per lui"... merci pour ta fidélité
Oh non non moi je ne veux pas d'analyse!
RépondreSupprimerÇa va le compte est bon!
Merci Siu de tes gentils mots.
Je ne sais pour les autres mais en ce qui me concerne je sais que lorsque je marche dans la rue c'est la tête haute,mais ne pas se méprendre ,je veux dire par là que je ne marche pas la tête rentrée dans les épaules,regardant mes chaussures et l'air renfrogné!
Etant curieuse de tout je suis à l'affût de quelque chose à découvrir c'est peut-être cela que les gens remarquent,de là à engager la conversation il n'y a qu'un pas!!
"Quelqu'un qui sait écouter reçoit beaucoup plus de confidences, son silence même inspirant confiance. "
Gérard Gévry
Mais n'est-ce pas aussi que le récit de la vie des autres est souvent bien plus passionnant qu'on ne l'aurait imaginé et qu'on apprend toujours d'une rencontre? Quoi? On ne le sait pas immédiatement parfois, mais la justification d'une rencontre, aussi improbable ou étrange qu'elle puisse paraître, existe toujours.
RépondreSupprimerBonne soirée, Michelaise, et que votre semaine prochaine soit remplie de rencontres intéressantes!
Anne
Voilà Herbert, je crois que tu as trouvé, la campagne qui "monte" à la ville, ça vous donne un petit air exotique et étonné qui pousse à la confidence !!!
RépondreSupprimerOuh la Miss, ni sainte ni psy, mais par contre j'adore Michelaise du bon Secours, ça a un petit côté désuet qui me ravir !!!
Tu as raison Aloïs, je crois que se retrouver "oreille attentive" doit tenir au fait que, pour une raison ou une autre, on inspire confiance, comme qui dirait le délit de "bonne gueule" !!!
Y a du vrai Anne, même les histoires les plus incroyables, tarabiscotées, compliquées ou pitoyables ont quelque chose à nous apporter, il suffit d'y être attentif !!!
Formidable billet, Michelaise... je crois qu'un visage ouvert et souriant attire la rencontre et la confidence... mais je suis néanmoins toujnours sidérée detout ce que les gens peuvent confier d'intime à de parfaits inconnus, en fait c'est justement cela , la clé, une oreille attentive mais dont on sait qu'on ne la rencontrera plus et la confidence arrive toute seule ... formidable séance de psychanalyse gratuite !!! enfin c'est comme cela que je m'explique les choses, cela m'arrive souvent aussi de recueillir des confidences étonnantes ! mais ces petits moments de vie sont merveilleux(si la chose n'est pas trop pesante, car cela peut arriver aussi !)le temps d'un déjeuner de soleil comme tu dis joliment un parfait inconnu t'accorde sa confiance, en fait c'est un beau cadeau...
RépondreSupprimerJe rebondirai plutôt sur l'usage de la "com" dans l’Éducation Nationale:
RépondreSupprimerIl me semblait que notre rôle était celui de transmission d'un savoir, d'une culture, de tout ce qui fait "l’honnête homme" de demain.
Que nenni! Les Établissements scolaires des entreprises concurrentes qu'il convient de valoriser par des opérations de communication. Au niveau collège, cela s'appelle "projet d’Établissement" triennal (on doit remettre sur la planche le travail dans mon bahut cette année).
Utilisant un vocabulaire abscons et très tendance, il faudra adapter nos projets pour qu'ils entrent dans les "axes" du fameux Projet. Puis, après avoir écrit un paragraphe ronflant sur une action souvent minuscule (une sortie en forêt ou au cinéma suffit), on fait monter la mayonnaise.... pour être plus attractif que le collège d'à côté! Quel temps perdu! quelle misère!
A en regretter le temps où on était corseté dans le sacro-saint Programme! Au moins il était égalitaire et national! Et le collège de banlieue offrait un savoir à peu-près équivalent à celui de centre-ville.
Je rebondis sur l'aspect "Com" de ton billet et cette manie actuelle dans l’Éducation Nationale!
RépondreSupprimerAu collège, on ne fait pas de salon. On fait des Projets d’Établissement : cela consiste à traduire des projets pédagogiques simples en une phraséologie ronflante qui cadrera avec les "Axes" imposés par les bureaucrates, et faire mousser l'émulsion pour que la mayonnaise du collège A paraisse plus attractive que celle du collège B voisin.
Quelle misère de mettre en concurrence les établissements en n'offrant comme "mieux-disant" (quel horreur ce terme) que des efffets de Communication!
Ne pas s'inquiéter : n'importe quoi peut faire l'affaire de Projet : une sortie au ciné, une ballade en forêt, voire des poubelles supplémentaires dans la cour!
L'important c'est de Communiquer!
Un bel échange, Michelaise, je te comprends, les gens sont souvent très seuls.
RépondreSupprimerMais ne sommes nous pas toutes et les quelques tous ici au coin de la rue, ravie si on peut créer un petit embouteillage surement de curiosité et certainement d'amitiés ?
RépondreSupprimerComme ce village a raison c'est si beau la nuit.
Tut tut Robert, circulons, y a rien à voir !!! si, si, y a à entendre, partager, papoter, bref vivent nos embouteillages.
RépondreSupprimerOn mesure mal Alba ce que la solitude est monnaie courante et surtout pénalisante et dure à supporter. On peut donc, facilement, quand on a la chance de ne pas être seul, sacrifier quelques instants de ce temps que seule notre manie d'agitation rend précieux !!!
Ma pauvre Miriam, tu as cru que blogger t'avait joué des tours, donc tu as vaillamment réécrit ton commentaire !!! comme les deux se complètent j'ai publié les deux. Et c'est vrai que nous sommes passés maîtres dans l'art du temps perdu à des vétilles acccoutrées d'un habillage ronflant : pour des actions que nous faisions autrefois naturellement et qui n'étaient pas l'objet de montage en épingle, il nous faudrait maintenant en faire tout une salade, chiffrée, objectivée, évaluée, etc etc ... sur laquelle nous serions jugés et jaugés. Ces projets d'établissement sont une poudre aux yeux qui, malheureusement, deviendrait un des critères de la qualité de notre enseignement ! Je t'avoue en la matière être parmi les dernières réfractaires à ces mascarades que, l'âge aidant, je boycotte allègrement.
Petit commentaire pour Miss Lemon : pas moyen de laisser un comm sur ton billet sur Grignan !!!
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